Jeudi soir, 7 h. ¾
Je t’aime. Ceci est un fait patent. Je suis emportée, violente, mal embouchée. Ceci n’est pas tout à fait ma faute et je n’en veux prendre qu’à moitié la responsabilité. D’autant plus que dans mes violences il y a autant de peur que de mauvaises habitudes d’éducation. Je t’aime, mon Victor, à travers tout mon mauvais caractère, je t’aime de toutes les forces de mon âme. Quand j’ai eu le malheur d’être injuste envers toi, je m’en repens avec tant de regret que les reproches que tu me fais alors sont de trop, car je souffre trop déjà de ceux que je me fais intérieurement.
Mon cher bien-aimé, tu as été si bon tantôt, si généreux, si charmant, que je suis mille fois plus honteuse encore de ma méchanceté et que je t’en demande de nouveau bien pardon. Comprends-tu que j’ai oubliéa de te regarder en aller tantôt ? Ce n’était certainement pas oubli, mais c’était une distraction de l’amour par l’amour même. Depuis que tu m’as quittéeb, j’ai luc, j’ai dînéd, je m’en vais me déshabiller et me coucher en vous attendant, quoiqu’il ne me soit pas démontré que vous viendrez plus aujourd’hui qu’hier. Mais c’est égal, je vais me coucher et je ne vous souhaite pas le bonsoir, mais je vous répète que je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16324, f. 45-46
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon]
a) « j’aie oubliée ».
b) « quitté ».
c) « lue ».
d) « dinée ».