Samedi, 2 h. ¾ après midi
Bonjour, mon terrible barbe bleue, je vous aime et je n’ai pas la moindre peur de vous. Mme Lebreton, que j’attendais, n’est pas venue. La propriétaire est venue, je lui ai parléa, tu verras si le résultat de notre conversation te convient.
« Il fait en ce beau jour, le plus beau temps du monde pour aller à cheval » [1] en voiture, à pied, en omnibus, en coucou, en ballon, voir Angelo, la monstruosité de notre époque littéraire, politique et autre. Il fait aussi un bien fameux temps pour vous voir, vous, mon Toto, mais il me paraît à peu près démontré que vous ne viendrez pas de si tôt. Aussi je fais une lippe longue comme la trompe de l’éléphant de la Bastille [2].
Je viens d’envoyer chercher le serrurier pour qu’il arrange la clef de mon entrepôtb de denrées coloniales. Ceci une fois fait, je pourrai dormir tranquille sur la fidélité de mon esclave. Ensuite, j’écrirai à ma chère petite fille [3] ainsi qu’à Mlle Watteville, à qui je compte faire des reproches sur la négligence qu’elle met à m’informer de l’état de ma fille tandis qu’elle en donne des nouvelles à des gens beaucoup moins intéressés que moi à les recevoir.
Voici le serrurier venu. Je m’en vais vous embrasser vite et fort car il faut que j’assiste en personne à l’ouverture du corps et que je fasse mon marché. Pour le reste donc, je vous baise sur votre joliec petite bouche, je vous adore dans toute votre chère petite personne.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 283-284
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « je lui ai parlée ».
b) « entrepos ».
c) « joli ».