Jeudi, 8 h. du soir
[Jeudi 26 mars 1835]
Les t. et les s. qui étaient de trop hier dans ma lettre et ceux qui étaient de moins vont me servir aujourd’hui à te faire une bonne petite lettre bien tendre. Je regrette moins mon ignorance depuis que je sais que l’étude et l’esprit se nourrissent aux dépens du cœura [1] ; je regarde la mienne comme un engrais favorable à mon amour. Une fois que tu auras accepté mon cœur comme il est : plein d’amour, florissant d’admiration pour ta noble petite personne, tu t’apercevrasb moins de mon ânerie. Et puis je t’aime : le mot sacramentel de l’amour n’est si doux et si beauc à lui tout seul, que les finesses de la langue, les merveilles de la poésie sont éclipséesd par lui.
C’est donc de ce mot-là seul que je me servirai à l’avenir.
Mon cher Toto, je t’aime. Je voudrais bien t’avoir en tout bien, tout honneur, à cause de… etc. Tu m’as bien l’air d’avoir perdu ton pari, vilain capon [2], va ! Si tu étais venu, nous serions aller vérifier le fait et je serais revenue le soir sur mes 11, mais tu n’as pas osé te risquer. Tu n’en a pas moins perdu et il faut que tu t’acquittese dans le délai de cinq jours. Han ! Han ! L’AMI CAREME [3], tu es un peu vexé.
Tiens, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 194-195
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « au dépend du cœur ».
b) « appercevras ».
c) « beaux ».
d) « écplissées ».
e) « accquitte ».