Guernesey, 5 décembre [18]64, lundi matin, 8 h.
Bonjour, toi, bonjour, amour, bonjour, soleil, bonjour, signal, bonjour, tout ce que j’aime, bonjour, tout ce que j’adore, bonjour, aux rayons, bonjour à la joie. Ma bouche, mes yeux, mon cœur, mon âme vous saluent, bonjour, bonjour, bonjour, bonjour. D’après ce qui a été convenu entre nous pour le signal, je suis fondée à croire en ce moment que, comme moi, tu as passé une très bonne nuit et que ton rhume va mieux. Si cela est, comme je l’espère, je suis heureuse pour toute la journée. Dans cette pensée, je me mets à ta disposition pour aller à la colonne [1] tantôt. Il fait un temps charmant et peut-être que tu n’auras pas le temps de sortir demain si ton fils vient. Et mes JOURNALS ? Si c’est comme ça que vous me servez mes ABONNEMENTS, merci, je me plaindrai à l’administration. En attendant je ronge les vieux bouquins comme une vieille rate que je suis et ne m’en porte pas plus mal. Attrapé !
J’attends que mon feu soit allumé pour me lever car je veux me soigner pour vous obéir. Autrefois je n’aurais pas eu de ces délicatesses pour ma précieuse santé, mais depuis nos conventions je dois honnêtement faire vie qui dure le plus que je pourrai c’est à quoi je m’applique en me dorlotanta le plus que je peux. Tout cela ne me donne pas l’art de parler et d’écrire correctement, comme dans la grammaire, AU CONTRAIRE car il est impossible d’être plus bête et plus ignorante que je le suis. Cela dépasse même mon indulgence et peu s’en faut que je ne flanque mon gribouillis au feu pour m’apprendre à ne pas être aussi stupide que cela. Mon petit Toto [pardonne-moi ?] et fais comme si tu n’avais pas lu toutes ces [illis.]. Ne te souviens que de cela. Je t’aime.
J.
BnF, Mss, NAF 16385, f. 256
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « dorlottant ».