Guernesey, 7 juin 1860, jeudi matin, 7 h. ¼
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour le plus tendre et le meilleur que j’aie en moi. As-tu bien dormi, mon cher petit homme ? J’espère que oui et je t’en offre autant de mon côté. Du reste il fait un temps à dormir debout : froid et pluie, pluie et froid, voilà, à quelques coups de soleil bien rares près, le temps qu’il fait depuis huit mois. Mes restitus s’en ressentent beaucoup trop, car elles aussi ne sortent pas de ce thème ennuyeuxa et abêtissant. Et pour comble de taquinerie aucun moyen encore aujourd’hui de dîner dans le lucoot. Cependant, quand je me reporte au beau mois de juin de 1858 [1] et que je le compare à celui-ci je n’ai pas assez d’horreur rétrospective contre cette cruelle ironie du ciel avec l’état de ta santé et je n’ai pas assez de bénédictions pour me remercier Dieu qui est le maître de son ciel et de nos joies, de garder pour lui la brume et la pluie, et de donner à nos [illis.] le ciel bleu et le soleil, la santé et l’amour, ce vilain et triste mois de juin de 1860. Comme toujours ma pensée trébuche sur ma plume et j’ai de la peine à lui faire faire le trajet de moi à toi. Heureusement que tu as la bonté de venir au devant d’elle et de la remettre sur ses pieds. Aussi je ne m’en inquiète pas et je t’aime droit devant moi sans broncher. J’espère que tu me donneras bientôt la COPIRE de ton SPEECHb et je m’en goberge d’avance du bonheur d’y tâter avant tout le monde [2]. En attendant je te baise de fond en comble.
BnF, Mss, NAF 16381, f. 134
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette
a) « enuieux ».
b) « SPEACH ».