Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1853 > Février > 28

28 février 1853

Jersey, 28 février 1853, lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon petit Toto, bonjour, mon cher petit visionnaire, bonjour. Je comprends de reste maintenant vos insomnies car, rien que pour avoir entendu ceta effroyable récit de votre Dante [1], je n’en ai pas dormi de la nuit et le peu de sommeil que j’ai eu était rempli des souvenirs de votre enfer. Une chose m’étonne, mon pauvre sublime bien-aimé, c’est que tu ne sois pas foudroyé par ta propre poésie. Il semble que de telles pensées doivent faire éclater le cerveau qui les conçoit avant d’être formulées pour l’esprit humain. Quant à moi, il m’est impossible d’embrasser sans vertige toute l’étendue de ton génie à perte d’admiration. Dieu seul en connaît toute la profondeur. Pour échapper au tournoiement de cette poésie à pic, je me réfugie dans mon amour, le seul terrain de plain-pied sur lequel mon âme vous adore sans broncher.
Cher petit homme, maintenant que [vous] êtes hors de votre palais de Justice et que votre présidence de cour d’assisesb divine est terminée, avez-vous enfin pu dormir une bonne nuit ? Ceci m’intéresse plus que je n’ose vous le dire et je serais bien heureuse si vous aviez pu vous transformer en loir toute cette nuit. En attendant, je baise le bout de vos grandes ailes, mon bel archange Justice.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 211-212
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « cette ».
b) « assise ».


Jersey, 28 février 1853, lundi après-midi, 1 h. 

Je n’espère pas te voir beaucoup encore aujourd’hui, mon bon petit homme, grâce à la vente des proscrits, car il est probable que tu seras au nombre des chalands allumeurs de cette petite foire (sans calemboura) et que tu y resteras jusqu’à la clôture ? Je trouve cela tout simple mais je ne m’en réjouis pas davantage. Heureusement que j’ai une consolation dans votre enfer [2] et je vais en profiter sans désemparer. Dès que j’aurai fini, j’aviserai à faire des sachets noirs pour vos photographes bien que je ne sache pas où je prendrai le premier morceau de soie et la ouateb indispensable pour ce genre de sac. Mais l’amour ainsi que les plaqueurs ne connaissent pas d’obstacles et à ce compte-là je dois pouvoir fournir une et surtout plusieurs de ces poches noires si utiles aux daguerréotypeurs de Marine Terrace [3]. Aussi je vais me dépêcher de faire votre belle ouvrage pour m’occuper de résoudre le problème de faire beaucoup de choses avec rien. C’est égal, je n’aurais pas été trop fâchée si vous aviez pu venir me voir un peu avant ce soir, si j’en juge d’après la peine que j’ai en songeant que cela n’est guère probable, hélas !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 213-214
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « calembourg ».
b) « ouatte ».

Notes

[1 La Vision de Dante, poème écrit primitivement pour Châtiments, sera en définitive publié dans La Légende des siècles (III, 20).

[2Copie du poème La Vision de Dante.

[3Charles et François-Victor Hugo, Auguste Vacquerie sont les photographes de Marine-Terrace.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne