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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 juin 1842

14 juin [1842], mardi matin, 11 h. ¼

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon amour chéri. Comment vas-tu, mon bon petit homme ? Comment va le cher petit garçon ? N’est-ce pas aujourd’hui que revient M. Louis et que la consultation doit avoir lieu enfin ? Je la désire bien vivement pour ma part, parce que je suis sûre que le résultat sera que notre petit ange est sauvé et qu’il est en pleine convalescence. J’en suis tellement convaincue que je voudrais avancer avec de mes jours à moi les minutes d’intervalle qu’il y a entre ton inquiétude et la consultation. Je ne sais pas si tu me comprends car rien de ce que je pense ne sort entier de ma pauvre cervelle étroite. Je sens les plus belles et les meilleures choses du monde quand je pense à toi et dès que je veux les dire on ne sait plus ce que c’est. C’est absurde mais ce n’est pas de ma faute.
Suzanne devient décidément très forte sur les tessons car elle a acheté ce matin 14 assiettes, dont 10 absolument neuves huit francs dix sous. Tu vois que tu ne manques pas d’un certain chic. Il est vrai d’ajouter qu’elle sait encore mieux les casser, ce qui détruit le charme de ses connaissances. Mais enfin, pour cette fois, avec l’assiette d’hier nous en avons onze toutes neuves pour 9 F. 5 sous plus les quatre autres par-dessus le marché qui sont encore fort présentables.
Je ne sais pas si le sieur Ledon viendra aujourd’hui ou s’il viendra demain. Pour mon goût je voudrais que ce fût tout de suite pour en être plus tôt débarrassée. Cette corvée est si ennuyeuse que d’y penser seulement, cela m’impatiente au dernier point. Est-ce que tu as Académie tantôt ? Tu serais bien gentil de venir me voir en passant, cela me donnerait du bonheur pour le reste de la journée et j’en ai bien besoin. En attendant je te désire et je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 139-140
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette


14 juin [1842], mardi après-midi, 2 h.

Pas de bonhomme Ledon et j’enrage comme un chien. Outre que je souffre beaucoup d’une certaine chose qui ne vient pas bien et de la chaleur qui vient trop bien, sans parler que je ne vous vois pas, ce qui ne me console, ni me guérit, ni me rafraîchita, bien au contraire. Je brûle au-dedans et je roussis au dehors, voilà la compensation. Si cela continue je mourrai de gras fondu et d’amour ranci. Dieu de Dieu, quelle chaleur ! Il y a plus de six ans qu’il n’y a eu un pareil mois de juin. Cela vous va à vous, mon cher petit ver à soie mais moi cela me rend malheureuse. Ajoutez-y pour appoint mon verre de Mayence et celui à anse que Mme Krafft m’avait donné, cassés tous les deux depuis hier. J’aimerais mieux autre chose, je te l’avoue sincèrement. J’aimerais mieux le cabriolet [illis.] et la forêt noire et l’auberge de Freudenstadt [1], que Paris, la rue Ste-Anastase et l’adresse de Suzanne. Voilà comme je suis. Tous les goûts sont dans la nature, le meilleur est celui qu’on [n’]a pas. Toujours est-il que je grille dans ma [peau  ?] de fiche mon camp de ce hideux pays où on a les horreurs du soleil sans la plus petite goutte de bonheur pour vous rafraîchir. Merci, dès que Toto sera bien et dûment guéri, je prends ma feuille de route et qui m’aimera me suivra.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 141-142
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

a) « raffraîchis ».
b) « dûement ».

Notes

[1Souvenirs du voyage au Rhin de 1840.

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