Guernesey 2 juin [18]70, jeudi, 2 h. ½ après midi
Tu dois être plus que content, mon cher grand bien-aimé, de la bonne nouvelle qui te vient par Asseline de l’arrivée de ton groupe samedi. Comme toujours après avoir trop longtemps attendu il arrive qu’on se trouve pris de court dans les derniers moments. C’est ton cas et le mien aujourd’hui. Mais le bonheur arrange tout et je compte sur l’indulgence de tes chers hôtes pour les lacunes de mon hospitalité. Je crois que tu feras bien de décommander la voiture pour demain vu qu’il nous sera presque impossible d’en user. Je te dis tout cela comme en revenant de Pontoise [1] tant l’émotion me gagne d’avance. J’ai peur que mes forces ne soient pas à la hauteur de mon cœur et de ne pas mener à bien jusqu’au bout la villégiature de ces êtres charmants habitués à toutes les délicatesses les plus raffinées de la bonne chère. Mes soixante-quatre ans reculent lâchement devant la difficulté de la tâche et peu s’en faut que je ne DÉSARDE [2] mon poste pour échapper à cette responsabilité inquiétante. Dieu veuille que mes craintes ne soient pas dépassées et que tu m’aimes encore plus après qu’avant mes méfaits.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 153
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette