Guernesey, 17 mars [18]70, jeudi matin, 7 h. ½
Cher bien-aimé, je suis en fond d’une bonne nuit que je t’offre, rubis sur l’oreiller, en échange de la tienne que j’espère meilleure encore et sur laquelle mon cœur compte faire un fort bénéfice. À ce propos je te prie de m’apporter BEAUCOUP D’ARGENT, d’ici à deux jours, à moins que tu ne veuilles user des nombreux capitaux de Suzanne. Je lui ai conseillé de les placer à la banque dans l’intérêt de ses INTÉRÊTS, je pense qu’elle le fera ce qui me dispenserait d’avoir recours à sa caisse le cas échéant. « C’est bête comme tout ce que je te dis là. [1] ». Mais le moyen d’avoir de l’argent et de l’esprit tous les jours et à toute heure n’est pas donné à tout le monde, je ne le sais que trop, hélas ! Et puis il fait un temps à couper au couteau qui ne m’inspire pas le plus petit mot pour rire, à moins que ce ne soit pour porter Bonaparte en terre. Mais, mon Dieu, quand donc finira cet éternel hiver ? Quand pourrons-nous prendre la clef des bois, la clef des champs, la clef des amourettes [2] ? Mon cœur a la démangeaison de toutes ces douces choses pour les partager avec toi d’âme à âme.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 77
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette