Guernesey, 12 mars [18]70, samedi matin, 7 h. ¼
Bonjour, mon adorable bien-aimé, bonjour, je te bénis autant que je t’aime. Je voudrais être bien sûre que tu as passé une bonne nuit pour en faire ma joie ce matin. Quant à la mienne, de nuit, elle a peut-être été un peu plus féroce que l’autre. À tel point que j’ai trouvé plus simple de me promener dans ma chambre depuis trois heures du matin jusqu’à quatre, que de rester dans mon lit. Du reste aucune souffrance en dehors de la toux qui m’a transformée en orgue de Fribourg [1] jouant, chantant, criant, piaillant, sifflant, beuglant, hurlant, miaulant, jappant, pépiant, susurrant, roucoulant, bêlant, parlant, jasant tous les bruits de la création. C’est à rendre fou celui qui est en proie à ce vacarme nocturne. Heureusement qu’il suffit de se lever pour faire cesser tout ce tapage INTÉRIEUR. J’espère qu’il cessera tout à fait pendant la nuit dès que mon rhume sera entièrement passé. Il n’y a donc qu’un peu de patience à avoir et j’en aurai, cela n’est pas difficile avec toutes les gracieuses bontés dont tu me combles. Je n’y peux pas penser sans un attendrissement profond et j’y pense toujours car je t’aime comme je respire. Mon amour c’est ma vie.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 72
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette