27 août 1860

Guernesey, 27 août 1860, lundi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon pauvre trop aimé, bonjour. Puisse cette journée être pour toi exempte de souffrances morales et pour moi d’injustices. Que Dieu nous donne la paix à tous les deux et nous bénisse avec les épreuves douloureuses du passé. C’est ce que je lui demande de toute la force de mon amour. Comment as-tu passé la nuit, mon pauvre petit homme ? Je crains que tu n’aies été bien agité et bien attristé de ce nouvel accès de mon incurable maladie. Quant à moi je me porte bien malgré tous mes déchirements intérieurs et je ne me sens pas la moindre pitié pour moi bien loin de là. Je crains que tu ne te sois imposé la tâche de rester hier au soir avec moi plus longtemps que tu ne le pouvais par rapport à ton nouvel hôte [1]. D’un autre côté je n’osais pas te le dire dans la crainte de te donner le change sur le véritable sentiment qui m’inspirait cette remarque et qui me faisait désirer de te faire le sacrifice du temps que tu me consacrais avec tant de bonté et de grâce. Enfin, mon pauvre bien-aimé, il faut espérer qu’à l’avenir nous serons moins défiants l’un envers l’autre en nous concédant mutuellement les petits sacrifices que notre position nous commande. En attendant, mon pauvre adoré, je vais tâcher de me guérir sans autre DOCTEUR que toi. Déjà je me sens beaucoup mieux. Encore quelque haute dose de ton amour divin et il ne sera plus question de mon mal que pour en remercier Dieu. Jusque là je t’aime avec un redoublement de passion.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 224
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette