27 mars [1842], dimanche matin, 10 h. ½
Bonjour, mon Toto bien aimé. Bonjour, mon chéri adoré. Comment vas-tu, mon pauvre amour ? Tu ne souffres plus, n’est-ce pas mon Toto ? Il faut être bien attentif à tous ces petits symptômes d’échauffement pour les enrayer tout de suite, mon cher petit homme. Je vais tâcher de faire trouver du raisin aujourd’hui et puis je te ferai ta petite charpie. Suzanne est décidément malade, elle pleure cette pauvre fille et dès qu’elle aura pu avoir du raisin je l’enverrai coucher [1]. Voici une nouvelle maladie dans ma maison dont je me serais bien passée. Enfin il faut prendre ce que le bon Dieu nous envoie.
Claire est à la grand-messe, elle y a déjà été ce matin, elle ira à vêpres tantôt ce qui occupera tout son dimanche [2]. Moi j’aurai à faire les choses indispensables de la maison, voilà pour le travail. Et à t’aimer de toute mon âme, voilà pour la religion. Pour ces derniers devoirs, je doute qu’il y ait au ciel une âme plus fervente et plus passionnée que la mienne. Quand je dis que je doute, c’est une manière de parler, c’est plus que sûre que j’ai voulu dire. Baise-moi, mon Victor chéri. Prends bien soin de toi mon Toto et viens bien vite me voir. Mon pauvre homme adoré, je t’aime. Je ne saurais assez te le dire, car je suis pleine de reconnaissance, d’admiration et d’amour pour ta bonté ineffable, pour ton génie sublime, pour toute ta personne si belle et si adorable. Je voudrais baiser tes pieds toujours comme je baise à genoux touta ce que tu as touché chez moi. Je t’aime, mon Victor adoré, je t’aime de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 203-204
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « tous ».
27 mars [1842], dimanche après-midi, 4 h. ¾
Je suis parfaitement seule mon amour. Tout mon monde est à vêpres, Suzanne compris qui a préféré aller à l’église que de se coucher [3]. Moi je prie le bon Dieu chez moi en t’aimant de toutes mes forces et de toute mon âme et je suis sûre que cette dévotion lui est aussi agréable de cette manière que de l’autre. N’est-ce pas que j’ai raison mon Toto ? Je vais te faire ta charpie tout à l’heure. Tu auras du raisin ce soir et de l’amour tant que tu en voudras à indiscrétion et AUTRES [4]. Je serais bien sortie aujourd’hui, moi, si vous l’aviez voulu. Je m’étais préparée de bonne heure dans le cas où vous auriez la bonne pensée de venir me prendre. J’en ai été pour mes frais de frisure et de fourbissage [5]. Mais je vous retiens pour le premier rayon de soleil qui luira à l’horizon. Vous savez d’ailleurs QUE CA M’EST ORDONNÉ par le médecin [6]. Vous ne pouvez donc pas vous abstenir de cette corvée.
À propos, j’oubliais que je m’étais tiréea ma CHIROMANCIE dans ma propre main. Je ne mourrai pas sur [Dessin]b l’échafaud, je ne ferai pas fortune, mais je vous aimerai toute ma vie, voilà MA DESTINÉE. J’aime mieux celle-là QU’UNE AUTREc. Et vous ? Du reste, j’y avais gagné un fameux mal de tête à cette fameuse CHIROMANCIE, je ne te conseille pas d’en faire autant. Sur ce, baisez-moi et pensez à venir bien vite, car je vous attends depuis trop longtemps et je vous aime à renverser par dessus les bords.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 205-206
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « tiré ».
b) Dessin d’une paume de main avec le tracé des lignes.
- © Bibliothèque Nationale de France
c) « QU’UN AUTE ».