Guernesey, 18 nov[embre] [18]72, lundi matin, 7 h. ½
Je me suis encore levée trop tard, mon cher adoré, ce qui fait que je t’ai encore manqué aujourd’hui. Cependant, j’avais perdu au jeu hier et avant-hier mais il paraît que cela ne suffit pas pour se lever matin et avoir la chance de te voir sur ton toit au moment où tu y passesa. Je tâche de me consoler de mon guignon avec la pensée que tu as eu une bonne nuit, j’espère que je ne me trompe pas. Une autre compensation sur laquelle je compte aussi et qui me remplit de joie d’avance c’est de copier tes vers au citoyen civique Ségur [1]. Je les attends avec impatience et de cœur ferme. J’aime mieux aller en enfer avec toi qu’en paradis avec le dit Ségur et sa vilaine séquelle. Quant à la pauvre petite Mme Chenay, son bigotisme s’accentue de plus en plus et n’aura bientôt rien à envier à celui de ce pauvre insensé Garnier. À ce sujet, je crains que tu ne lui aiesb fait du chagrin hier en prenant au sérieux un hasard de paroles comme nous en avons tous et qui ne doit avoir aucune portée quand il n’y a pas eu préméditation ni conscience de ce qu’on dit. Je n’ai pas voulu ajouter à sa tristesse en ayant l’air de m’en apercevoir mais j’en souffrais avec elle. Heureusement que tes sévérités ne durent pas longtemps etc celle-ci est déjà bien loin. Ce soir il n’en sera plus question et tu lui rendras le petit monopole glorieux et fructueux de donner pour toi au Nain Jaune [2]. Mon cher adoré, je te vénère, je t’admire, je t’aime, je te souris, je te bénis.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 319
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « passe ».
b) « aie ».
c) « est ».