Guernesey, 7 décembre, [18]65, jeudi matin, 8 h. ¼
Bonjour, mon cher petit homme, il faudra que tu aies dormi comme plusieurs noirs cette nuit pour être à la hauteur de mon PIONÇAGE monstre. Malheureusement, je crains que la sollicitude surexcitée de Mme Chenay pour Sénat ne t’ait plusieurs fois réveillé, ce qui rabat de beaucoup l’orgueil de ma bonne nuit. Du reste, la maladie du Toutou n’est pas autre chose qu’une forte indigestion, ce à quoi il a été enclin de tout temps d’après le dire même de Mme Chenay à moi il y a un an. Ce n’est pas une raison pour ne pas le soigner le CAS échéant, mais en serait une pour ne pas s’alarmer outre mesure quand ce dégoûtant phénomène se produit. Ce gribouillis de chien menace de se perpétuer indéfiniment si je n’y coupe court brusquement pattes et queue. Le temps est doux mais hideux. Le packet [1] est déjà signalé mais tout cela ne me dit pas comment tu as passé la nuit, à quelle heure tu t’es levé et comment va ta gorge ce matin [2]. En l’absence de tout renseignement, je suppose tout ce qui me plaît le mieux, à savoir que tu as bien dormi, que tu t’es levé aussi tard que moi et que tu ne souffresa plus. Tâche de ne pas me désillusionner plus tard sur aucun de ces points. En attendant, je t’adore. Je te fais souvenir qu’il faut que tu m’apportes ton portrait pour Luthereau. Le plus tôt sera le mieux. Quant à en choisir un des miens pour George Road [3], il faut que moi même je les tire de MES PROFONDES, ce qui n’est pas une petite affaire. J’y arriverai peut-être tantôt. À propos, j’ai oublié de te dire que ma poule dinde était guérie, à la grande joie de Suzanne et de la mienne, tant pour les souffrancesb de la pauvre cocotte que pour la perte sèche d’une forte SOMME [4]. Toute cette restitus n’est qu’en bêtes, moi comprise. [Je t’aime ?].
BnF, Mss, NAF 16386, f. 199
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « souffre ».
b) « soufrances ».