Guernesey, 16 novembre [18]65, jeudi matin, 7 h. ¼
Bonjour, mon grand bien aimé, bonjour. Je me fie à ton signal [1] et je crois, en le voyant arboré si matin, que tu as passé une bonne nuit. Tu me diras tantôt si j’ai raison en ce moment. Moi aussi j’ai passé une bonne nuit et je ne demande qu’à lui donner pour pendant ce jour qui s’annonce si bien. Si tu as le temps et si tu le veux, nous pourrons sortir tantôt et aller jusqu’à Fermaina-Bay [2]. Je ne dis pas jusqu’à la colonne [3] parce que c’est un peu loin, que les chemins sont humides et que je n’ai pas encore le libre usage de mes jambes [4]. En attendant, je regarde les évolutions de la petite flottilleb de pêcheurs qui se meut devant mes fenêtres et je leur souhaite bonne chance et heureux retour. J’ai oublié de te dire hier que Suzanne était en possession de ses deux dindonneaux que je crois femelles, que je les ai fortement payés pour vous, môsieur, et que je suis à sec de toile. Est-ce clair ? Je n’en dirai pas plus. Il me semble que ce temps si charmant doit être propice à nos COLIS [5] et qu’ils ne peuvent plus guère tarder à arriver ? Je suis impatiente de revoir ma chère petite lanterne et de la PENDRE HAUT ET COURT séance tenante à mon plafond [6]. J’ai le plus grand désir de savoir comment mes deux Zollandais [7] ont supporté la traversée. Je crains qu’ils n’aient eu le mal de mer et cela me tourmente. Aussi je ne vous laisseraic pas une minute de tranquillité que je ne m’en sois assurée. Fichez-vous-le dans la boule. J’espère que tu n’auras pas oublié de faire emballer, avant toute chose et de préférence à toute chose, le beau bénitier que ton bon Charles m’a donné et auquel je tiens comme à mes yeux [8]. Mais, je le répète, je ne serai tranquille que lorsque je serai en repossession de toutes ces belles choses. Taisez-vous. Je vous adore.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 177
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « fermen ».
b) « flottille ».
c) « laisserez ».