25 avril [1842], lundi matin, 9 h. ¾
Bonjour mon Toto chéri. Bonjour mon Toto bien aimé. Comment vas-tu, comment va la petite santé de notre petit Toto [1] ? Mon mal de tête est à peu près dissipé, j’espère qu’il n’en sera plus question tantôt [2]. Mais ce qui me chagrine, c’est que je ne te vois pas, tu ne viens plus que le soir si tard et comme je me lève plus tôt maintenant, que les jours sont longs et que je couche tous les jours seule, j’ai envie de dormir plus tôta dans la nuit. Ainsi que je l’avais prédit, mon amour, vous m’avez fait faire le tour du cadran sans me donner le moindre signe de……. Quoi que ce soit. Voici le 25 arrivé comme il était parti sans rien, de rien, de rien du tout [3]. C’est peu de chose en somme. Enfin, vous savez ce que vous faites pas et ce que vous faites PAS [n’] est pas bien. Maintenant je ne vous en parlerai plus parce que cela devient tout à fait ridicule.
J’aurais pu vous faire tort de 50 c, si j’avais voulu, qui étaientb tombés de votre bourse hier. Mais je foule aux pieds les richesses mal acquises et j’en ai fait don en votre nom à ma pauvre péronnelle [4] sous les espèces de deux pièces de 25 c. Ça vous apprendra à savoir ce que vous avez dans votre bourse une autre fois. Sur ce, baisez-moi et ne soyez pas longtemps sans venir me voir. Je vous aime, vilain monstre d’homme, pour mon malheur. Baisez-moi. D’ici, ça ne vous coûte pas grand-chose. Baisez-moi encore alors. Baisez-moi toujours, ça ne vous ruinera pas.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 315-316
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « plutôt ».
b) « était ».
25 avril [1842], lundi soir, 6 h.
Toujours, toujours du même tonneau, mon Toto, nous ne m’en servirez jamais d’autre à ce qu’il paraît et je dois m’en contenter. Enfin, c’est égal, ça n’est pas très drôle et j’enverrais de bon cœur tout au diable pour voir l’usage qu’il en ferait. Comment allez-vous, mon Toto chéri, car au fond je ne vous en veux pas, je n’en veux qu’au sort qui ne nous est pas très favorable. Comment va ton petit garçon [5] ? Qu’en dit M. Louis ? Je te vois si peu, si peu que je n’ai pas le temps de te demander de ses nouvelles ni des tiennes. Je suis triste, mon Toto chéri. Ne t’en fâche pas, ce n’est pas ma faute, c’est la faute de ce que je t’aime trop, voilà tout. Je dois un tas d’argent à Suzanne. Cela se comprend, car depuis longtemps je n’ai plus de provision de vin ni d’épiceries, ce qui augmente la dépense journalière. Bientôt nous n’aurons plus d’huile à brûler. Ce mois-ci a encore été bien lourd à cause du loyer et des Jourdain, sans parler des achats indispensables pour la maison et pour Claire [6]. C’est pour cela, mon pauvre adoré, que je te vois si peu, je le sais et loin de me calmer cela m’irrite et m’attriste encore bien davantage. Mais je te rends bien justice mon bien aimé, je te plains et je t’aime comme un pauvre ange du bon Dieu que tu es. Ainsi, mon bon chéri, ne te fâche pas quand tu m’entends me plaindre, ce sont des plaintes d’amour adressées au mauvais sort qui nous poursuit avec un rare acharnement. Je t’aime mon Toto généreux. Je t’adore mon divin Toto. Je baise tes pieds mon amour. Tu es plus que ma joie et plus que mon bonheur, tu es ma vie même.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 317-318
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette