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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 mars 1842

23 mars [1842], mercredi matin, 11 h.

Bonjour, mon cher bien aimé. Comment que ça va ce matin ? Vous n’êtes pas revenu cette nuit, la surprise a été complètea comme vous le vouliez, car je vous assure que j’espérais bien vous revoir et vous avoir dans mes bras ce matin. Aussi ai-je été surprise désagréablement de votre nouveau manque de parole et de foi. Si je pouvais vous rendre désappointement pour désappointement, ennui pour ennui, impatience pour impatience, vous verriez avec quelle assiduité désespérante je ne vous quitterais pas : je vous rendrais par ma présence tout le chagrin que me cause votre absence. Ça serait une vengeance ravissante. Vous punir et me combler de joie. Hélas ! il n’y a qu’une seule petite difficulté importante, c’est que ça ne se peut pas. Rendez en grâce aux Dieux car je ne vous aurais pas fait remise d’une seconde du suppliceb affreux dont je vous parle. Taisez-vous. Changez vos souliers d’été contre des bottesc d’hiver ça vaudra mieux [1]. Au moins vous aurez les pieds chauds, ça sera toujours autant puisque le reste de votre CARCASSE EST INRÉCHAUFFABLE. Taisez-vous, vilain monstre, je ne vous écoute pas. Vous êtes un vieux floueur, voilà tout. À propos de floueur, je crois que j’en ai trouvé un autre dans la personne du sieur Mailly [2], parfumeur breveté de PLUSIEURS COURS ETRANGÈRES ET AUTRES. Il faut, a-t-il dit ce matin à Suzanne, recommencer sur de nouveauxd frais en commençant par le fameux dégraissage à cause de votre heureuse idée de m’enduire d’huile avant de savoir si cela [avait] complètement réussi [3]. Du reste, il prend 2 F pour faire lui-même l’opération et il se charge de tous les frais, bien entendu, même quand il faut recommencer plusieurs fois. En somme je crois que je suis volée. Trop heureuse si je ne suis que ça. Mais quoi qu’il arrive et quoi que je sois, vous êtes forcé de m’aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 189-190
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « complette ».
b) « suplice ».
c) « bôttes ».
d) « nouveau ». 


23 mars [1842], mercredi soir, 7 h.

Je ne suis pas bien contente, mon bien aimé, je ne vous vois pas. Tous les jours se passent à vous attendre dans le vide. C’est bien décourageant. J’espérais que la nécessité vous amènerait chez moi aujourd’hui, mais vous aimez mieux avoir vos pauvres pieds trempés que de me donner la joie de vous voir [4]. Aussi, ne sachant que faire de mon temps, je le tire par les cheveux en ma personne. Depuis tantôt, j’ai eu l’affreux courage de recommencer de fond en comble l’atroce opération d’hier. Je crois que je ne suis pas plus avancée. Je saurai cela demain lorsque je me serai peignée et brossée ce soir. Je n’y [vois  ?] que la bouteille à l’encre. Tout ce petit tripotage me coûte déjà 10 F et pour peu je n’aie pas réussi, comme c’est probable, ça ne laisse pas que d’être de l’argent bien dépensé [5]. Enfin j’en aurai le cœur net ; après quoi je me résignerai, si je peux, à ma vétusté. Mais ce sera bien dur pour une pauvre Juju qui veut plaire à son Toto et qui ne peut pas vivre sans son amour. Toujours est-il que si je n’y parviens pas, ça ne sera pas de ma faute d’aucune manière et je pourrai me pendre derrière ma porte sans remords.
Je t’aime, mon Victor bien aimé. Je t’aime de toute mon âme. Je te désire. Je t’aime et toujours et sans cesse, voilà ma vie. Et toi mon adoré, m’aimes tu, me regrettes-tu et me désires-tu un peu ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 191-192
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette avait pour mission de faire élargir les bottes de Hugo chez Dabat. Les bottes sont prêtes, mais Hugo n’est toujours pas revenu voir Juliette qui s’inquiète qu’il prenne froid aux pieds avec ses « souliers d’été ».

[2À élucider.

[3Depuis le 20 mars, Juliette fait mention dans sa correspondance d’une opération qu’elle doit effectuer sur ses cheveux. Depuis l’apparition de ses premiers cheveux blancs, Juliette met tout en œuvre pour dissimuler les premiers signes de vieillissement et prend ainsi grand soin de sa chevelure. La nature des soins reste à identifier.

[4Juliette avait pour mission de faire élargir les bottes de Hugo chez Dabat. Les bottes sont prêtes mais Hugo n’est toujours pas revenu voir Juliette qui s’inquiète qu’il prenne froid aux pieds avec ses « souliers d’été ».

[5Le matin même, un coiffeur du nom de M. Mailly a pris en charge la mise en beauté de Juliette : elle a eu l’impression de se faire arnaquer. Depuis le 20 mars, Juliette fait mention dans sa correspondance d’une opération qu’elle doit effectuer sur ses cheveux. Depuis l’apparition de ses premiers cheveux blancs, elle met tout en œuvre pour dissimuler les premiers signes de vieillissement et prend ainsi grand soin de sa chevelure. La nature des soins reste à identifier.

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