11 mars 1842

11 mars [1842], vendredi après-midi, 2 h.

Où es-tu, mon cher petit bien aimé, pour que je t’envoie ma pensée, mes baisers et mon âme toute entière ? Je t’écris levée comme une grande fille que je suis. Bientôt même, je reprendrai toutes mes bonnes vieilles habitudes et au lieu d’un gribouillis vous en aurez DEUX [1]. En attendant jouissez de votre reste et triomphez du pigeon encore pour aujourd’hui, car je n’ai pour tout rôti qu’un affreux petit affreux merlan qui pue comme plusieurs rats morts. Mais soyez tranquille. Je fais mettre à la broche 17 pigeons [Dessin]^a et je les mangerai exprès pour vous apprendre. En attendant, je suis horriblement vexée et je donnerais mon merlan pour un bon gigot rôti à celui qui voudrait faire ce trafic avec moi. Vous n’êtes pas assez généreux pour ça vous, il n’y a pas de danger, vous aimez mieux tout garder pour vous, vilain geulard. Taisez-vous. Il fait noir et froid aujourd’hui, c’est peut-être ce qui me donne un peu mal à a tête et ce qui me rend triste. Cependant je suis bien sûre que si vous veniez m’annoncer un voyage de deux mois pour demain [2] ou seulement si vous passiez avec moi tout le reste de la journée que je serais tout de suite guérie, beaucoup mieux qu’avec les drogues Triger [3].
Voilà comme je suis, moi. En attendant, comme vous ne viendrez pas, si ce n’est pour vous montrer ou donner encore plus de regret, je garde mon mal de tête et ma tristesse pour me tenir compagnie. Baisez-moi cher petit homme adoré et soyez prêt au premier SIGNAL, car je vous préviens que je ne vous ferai pas grâce d’une minute ni d’un baiser dès que je le pourrai. Je vous aime, moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 153-154
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) Dessin de 8 pigeons à la ligne sur une broche :

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