Guernesey, 22 novembre [18]68, dimanche matin, 8 h
Cher adoré, je voudrais avoir deux cœurs, deux âmes, tous les cœurs et toutes les âmes pour y verser le trop-plein des miens. Sois bénis dans ta grande oeuvre comme tu l’es dans mon amour. Je baise tes pieds et tes ailes. Je crains que la préoccupationa de ce que tu as à faire ce matin pour le journal de Castelar [1] ne t’ait tenu éveillé une partie de la nuit ; ce qui, joint à toutes tes autres fatigues, peut troubler ta bonne santé. Il est vrai que Dieu semble te donner des forces à proportion de ta tâche qui grandit et augmente tous les jours. Cette pensée me rassure un peu et c’est avec toutes les tendresses de mon cœur que je souhaite bonne chance à L’Homme qui rit [2]. Que les pierres du chemin glorieux qu’il doit parcourir dans l’humanité soient pour lui des étoiles et les ronces des rayons. Je lui pardonne toutes les larmes qu’il m’a fait verser et je souris à son succès et à celui de la pauvre petite Déa. J’attends la première exclamation de Lacroix : quelque fermé qu’il soit à l’admiration, je suis sûre qu’il en restera la gueule béante pendant huit jours. Et Meurice ! et Vaquerie ! et tes deux fils !!!b et Rochefort qui est aussi de la pléiade privilégiée. Quelle fête !!!
Eh bien, à moi toute seule je t’admire autant et plus qu’eux tous et je t’adore encore mieux.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 321
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « la préocupation ».
b) Une ligne entière de seize points d’exclamation.