Guernesey, 5 avril [18]68a, dimanche matin, 6 h. ½
Je me retiens de t’embrasser ce matin, mon cher adoré, même à la distance où je suis de toi, dans la crainte de te communiquer mon hideux rhume assez fort pour faire éternuer des pierres. Mais ce halo momentané qui m’ôte toute pensée ne peut rien sur mon cœur qui n’a jamais rayonné d’un amour plus ardent qu’en ce moment. Je ne te demande pas comment tu as passé la nuit parce que j’espère que tu as bien dormi. Quant à moi, j’ai eu cette espèce d’agitation fiévreuse que donne le rhume carabiné. Ce matin j’y vois à peine pour te barbouiller ma pauvre restitus. Je crains de ne pouvoir pas collationner tantôt avec la grotesque nécessité de me moucher de seconde en seconde. Heureusement j’espère être promptement débarrassée par sa violence même, de ce coryzab malencontreux et monstrueux. En attendant, je te crie de mettre un cordon sanitaire autour de ton nez pour le préserver de la contagion du mien.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 97
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « 5 mars 68 ». « Avril » a été rajouté sur le manuscrit d’une autre main que celle de Juliette.
b) « ce corizza ».