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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 23 juillet 1858, vendredi, 6 h. ½ du matin

Bonjour, mon bien, bien aimé, bonjour, mon presque bien portant ; bonjour sur tes yeux, sur ton front, sur ta bouche ; bonjour dans ta santé, dans ton cœur et dans ton âme, bonjour. Kesler m’a dit hier au soir que tu avais passé une excellente journée et que le docteur espérait que tu pourrais commencer à marcher d’ici deux ou trois jours. Tu penses si je suis heureuse de cette bonne nouvelle mon pauvre bien-aimé ? J’en avais besoin car j’ai passé la journée dans les larmes hier, à ce point que je ne peux pas ouvrir les yeux ce matin et que j’ai un horrible mal de tête. Mais tout cela est moins que rien puisque tu vas tout à fait bien, mon cher petit homme. Il va falloir commencer par te donner enfin un peu de vraiea nourriture. Je réclame le bonheur de te faire ton premier potage, si c’est possible toutefois. Je te le ferais porterb dans une petite casserole d’argent fermée dans laquelle tu pourrais le manger tout bouillant. En attendant, je vais faire mettre le pot au feu ce matin pour que tu aies du bouillon frais dans la journée puis je t’enverrai une grappe de raisin dont tu pourras manger à discrétion si le docteur te le permet. Et puis je t’aime de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute MON ÂME.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 161
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « vrai ».
b) « porté ».


Guernesey, 23 juillet 1858, vendredi, 11 h. ½ du matina

Le docteur continue d’être content de toi, mon cher adoré, et de la besogne qu’il a faite dans ta pauvre plaie ce matin. Il croit être sûr que tout sera complètement assaini d’ici à huit jours et qu’on pourra sérieusement songer à te faire manger mais jusque là il ne veut pas se départir de ton régime prudent qui lui fait te mesurer les gouttes de bouillon et compter les grains de raisin que tu manges et que tu bois. Il paraît si sûr de son traitement et il t’aime tant et il t’est si dévoué que j’accepte sans murmure les privations si cruelles qu’il m’impose par contrecoup. Ainsi, mon pauvre adoré, je me résigne, Dieu sait comment, à ne pas te voir encore de huit jours. Que ferai-je d’ici là ? Je n’en sais rien mais je suis sûre que ma pensée, ma vie, mon âme ne quitteront pas ta chambre de souffrance jusqu’au moment où tu me rapporteras ton corps guéri et ton cœur délivré et heureux. Jusque là il me faut trouver du courage. Pour cela, je puise dans mon amour sans crainte d’en trouver le fond et je prie nos enfants de là-haut de demander à Dieu de te rendre de la santé bien vite. Mon bien-aimé, je baise tes chers petits pieds.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 162
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) La page 4 de cette lettre est entièrement quadrillée de lignes verticales surimprimées aux lignes horizontales. Cette surimpression des lignes de fin à la pliure des pages 1 et 4 est courante, mais rarement totale.


Guernesey, 23 juillet 1858, vendredi, 3 h. après-midi

Si le magnétisme existe bien réellement, mon cher bien-aimé, tu dois ressentir un grand bien et un grand soulagement dans toutes les petites choses que je t’envoie et dans lesquelles je voudrais faire entrer mon âme toute entière pour te guérir au plus vite. Je voudrais imprégner ma charpie de mon amour comme un divin dictame chargé d’éteindre toutes les douleurs de ton corps ; je voudrais pouvoir exprimer la vie de mon cœur dans les petits comestibles que je t’envoie pour soutenir tes forces que le mal dévore à toute heure . Enfin, mon bien-aimé, je voudrais pouvoir faire passer ma santé dans ton être POUR ne plus exister que dans toi. Si tu savais comme je suis malheureuse de ne plus te voir, mon pauvre bien-aimé, tu guérirais tout de suite par pitié pour moi encore plus que pour toi. Il me semble que si je pouvais te soigner moi-même, je serais moins affligée malgré le spectacle de ta souffrance. Dans ce moment-ci je vois la bruine tomber sur tes couvertures tombées elles-mêmes de la rampe de ton balcon par terre et je n’ose pas envoyer Suzanne avertir tes domestiques car je crois savoir qu’on se méprend souvent chez toi sur tes manifestations de ma sollicitude. Et pourtant, quel chagrin et quel remords pour moi si l’humidité te faisait du mal cette nuit. Oh ! Pourquoi ta sainte femme [1] ne peut elle pas voir dans le fond de ma conscience et de mon cœur ! Au lieu d’être froissée de mon initiative elle en serait touchéea et elle m’en remercieraitb car elle t’aime et elle est bonne.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 163
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « touché ».
b) « remercirait ».


Guernesey, 23 juillet 1858, vendredi soir, 8 h.

Comme je te le disais tantôt, mon cher adoré, je n’ai pas osé envoyer Suzanne dire qu’on ôte tes couvertures de dessous la pluie qui tombait sur elles parce que j’ai craint de déplaire à ta pauvre femme qui paraît supporter avec impatience, et je la comprends jusqu’à un certain point, la conscience ne pouvant pas se montrer comme le visage, les allées et venues de Suzanne. J’avais dit à Kesler de recommander à Rosalie de les bien faire sécher au feu de la cuisine avant de les remettre sur ton lit ; puis Cœlina étant venue, je lui ai fait la même recommandation, de manière, j’espère, à ce qu’elle se fasse un petit mérite ou réparant l’oubli involontaire de Rosalie. Pauvre cher adoré, que je voudrais être servante chez toi en ce moment pour te rendre tous les petits services dont tu as besoin sans en importuner personne de ta famille. Malheureusement cela n’est pas possible, à mon grand chagrin. Mon cher bien-aimé, tâche de suppléer aux négligences de tes domestiques en leur rappelant ce qu’elles ont à faire sans pourtant te fatiguer ni t’agacer. J’espère que bientôt tu n’auras plus besoin de t’en rapporter à elles. En attendant, je souffre pour toi et je maudis mon inutilité ! Mon Victor adoré, je baise tes pieds.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 164
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

Notes

[1Juliette Drouet « envoyait si souvent Suzanne prendre des nouvelles […], que la maîtresse de maison en titre, fatiguée par ses veilles, finit par trouver ce manège un peu lassant ». (J.-M. Hovasse, ouvrage cité, t. II, p. 496).

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