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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 décembre [1840], mardi soir, 6 h. ¾

Merci mon adoré Toto, merci du fond du cœur de m’avoir fait assister à tes côtés au triomphe de notre empereur [1]. Quelle joie et quel orgueil pour moi de voir passer ce sublime mort, appuyée sur le bras du plus sublime vivant que le monde verra jamais. Oh ! va, je sentais bien cela de toute mon âme et plusieurs fois mes genoux qui obéissaient à l’exaltation de mon cœur se sont ployés pour t’adorer comme tu le mérites à la face de tous et du soleil de Napoléon. Va je suis bien sûre que s’il y a entre ce monde-ci et l’autre quelque communication que nous ne voyons pas, l’âme du héros de la fête planait sur toi et n’acceptait de toutea cette dépense et ce luxe de corbillard que ton admiration.

10 h. ¾

Je reprends mon gribouillis un peu tard à cause de Mme Besancenot qui est venue me remercier et savoir un peu les nouvelles du cortège. Enfin la voilà partie grâce en soit rendue car elle est trop bête et trop vulgaire.
Tu demandais tout à l’heure si je t’aime ? Si je t’aime, ô mon adorable bien-aimé, tout ton génie, toute ta poésie, tout ton cœur et toute ton âme ne pourraient pas créer une expression ou une image qui approche de la grandeur et de la sainteté de mon amour. Crois-moi bien, mon Toto, comme si tu voyais mon âme après ma mort, jamais amour humain n’a égalé le mien. Je t’aime, je t’aime, entends-tu bien je t’aime ? Voici un jour qui ne s’effacera jamais de mon cœur comme tous ceux dans lesquels j’ai le bonheur de vivre une heure avec toi. Jamais je n’oublierai ton beau regard, ton noble respect devant cet illustre mort que le bourgeois envieux et stupide considérait comme un spectacle de Franconi [2], comme un CERCUEILb de théâtre. Tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir toi-même ce qu’il y avait de rayons dans tes adorables yeux au moment où le char a passé devant nous ; on aurait dit que ton regard passait à travers toutes ces planches et toutes ces draperies et se fixait sur le front du mort avec respect et admiration. Je te dis tout cela sans raison et comme je peux mais tu sais bien que jec dis vrai quand je dis qu’il y avait là dans cette fête les deux chefs-d’œuvred de Dieu, l’un mort et déjà saint, l’un vivant et déjà immortel.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 237-238
Transcription de Chantal Brière
[Souchon, Massin]

a) « toutes ».
b) « CERCEUIL ».
c) Juliette écrit deux fois « je ».
d) « chef-d’œuvre ».

Notes

[1Juliette a pu assister aux côtés de Hugo à la cérémonie du retour des cendres de Napoléon Ier.

[2Nom d’une famille qui s’illustre durant tout le XIXe siècle dans le cirque et les spectacles équestres.

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