16 août [1840], dimanche après-midi, 3 h. ¾
Je suis très fâchée contre vous, mon Toto, parce que vous vous êtes enfui comme un voleur ou comme un homme qui n’aime pas, ce qui est synonyme, sans me donner le temps de vous baiser et de vous dire adieu. Je ne suis pas contente du tout. Si j’avais su cela, je vous aurais forcé à vous empiffrer d’artichauts à la barigoule. Une autre fois, je ne serai pas si bête et je vous en ferai avaler de l’ail plein votre GEULE.
Viens me chercher mes dix francs, polisson, je te les donnerai, voime, voime, avec la manière de les ôter de la tirelire en reniflant. Je vais envoyer tout à l’heure chercher la presse que vous prétendez avoir été mise en pièces par vos satellites. Nous verrons bien si vous mentez, scélérat. Baisez-moi en attendant, gros monstre, et dépêchez-vous de m’apporter votre paletot à arranger.
Je vous préviens que je veux être plus d’un mois en voyage ou sans cela je pousse d’affreux cris tout le long de la route et dans les diverses auberges où nous stationnerons. Je n’ai déjà pas tant d’occasions de bonheur pour me rogner de moitié ma pauvre petite joie annuelle. Je vous préviens que cela ne sera pas, que cela ne peut pas être, quand même le bon Dieu serait mort et enterré. Ainsi, apprêtez-vous à ne revenir que deux mois au plus tôt après le jour de notre départ de Paris [1]. Taisez-vous, vieux scélérat, vous n’avez pas la parole. Jour, Toto. Je vous crois furieusement à Saint-Prix [2] aujourd’hui, et je crois non moins furieusement que la distribution des prix aura lieu demain à la Sorbonne [3]. Mais je vous aime, je vous aime, je vous aime.
Juliette
Collection particulière / MLM / Paris, 63836
Transcription de Florence Naugrette
16 août [1840], dimanche après-midi, 2 h. ¾
Je suis sous les armes, mon petit Toto, je vous attends depuis longtemps ou pour mieux dire je vous attends toujours. Cette nuit vous vous êtes bien hâté de vous en aller comme un vilain malhonnête que vous êtes. Une autre foisa je mettrai les bâfreriesb dans la ruelle de mon lit et vous ne les aurez que lorsque vous les aurez GAGNÉES. Je suis lasse d’en être pour mes fraises et mes pêches tous les soirs ; je veux essayer de vous les faire payer [un peu cherc ?] pour me rabibocher tout mon crédit à L’ŒIL. Tenez-vous pour averti et préparez vos NOYAUX en échange des MIENS.
Eugénie vient de venir. Elle n’a pas été malade mais occupée. Dans ce moment-ci elle fait sa tapisserie, tout à l’heure je L’AIDERAI à moins que vous ne veniez m’en empêcher ce dont je serais au DÉSESPOIR comme bien vous pensez. Taisez-vous vilain, vous n’avez pas la parole. Je ne veux pas que vous vous fichiez de moi après vous en être moqué. Si j’étais derrière le VÔTRE je saurais bien vous donner de bons coups pour vous faire venir plus vite.
4 h. ¼
Dieu merci vous ne travaillez pas beaucoup aujourd’hui et moi qui comptais passer le reste de la journée avec vous, me voilà bien lotie. Maintenant je ne vous verrai plus que bien tard ce soir. Il est vrai que j’ai un moyen de vous faire TRAVAILLER et je l’emploierai, soyez tranquille. Vous n’aurez mes pêches qu’à bon escient. Benoist et tous les Martin réunis n’auraient pas tant à faire pour gagner le gâteau de Nanterre empaillé, qu’on leur montre tous les jours sans jamais leur donner, que vous pour avoir mes pêches. Ah ! mais je me révolte à la fin. Baisez-moi profond scélérat et aimez-moi si vous tenez à votre vie et à toutes ses dépendances. Baisez-moi encore et pensez à moi qui ne pense qu’à vous, qui n’aime que vous et ne vis qu’en vous.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16343, f. 95-96
Transcription de Chantal Brière
a) « autrefois ».
b) « baffreries ».
c) « un peux chères »