15 août [1840], samedi après-midi, 3 h. ½
Le Boutigny [1] vient enfin d’envoyer, mon amour, et de mon côté aussi j’ai envoyé tout de suite les dix volumes par le portier chez Mme Krafft avec un petit bout de lettre obligeant en notre nom à tous deux. Nous voilà enfin débarrassés de cette corvée et ce n’est pas sans peine. Pour ma part j’en suis mille fois bien aise, il ne reste plus maintenant que la robe à payer pour n’être pas en reste avec Mme Krafft [2]. Je t’aime mon Toto chéri. Je t’aime de toute mon âme. Je suis triste de la conversation que nous avons euea hier au soir d’où il résulte que notre voyage sera de moitié moins long cette année-ci que l’autre [3] et dans laquelle j’ai vu que ma dépense excédait tes ressources, ce que j’avais prévu depuis longtemps. Malheureusement, mon bien-aimé, je ne vois pas jour à économiser sur ta nourriture ce n’est pas en travaillant jour et nuit comme tu le fais que je peux retrancher rien au régime doux et fortifiant que je te fais suivre. Il faut donc que je te nourrisse mal ou que je continue à dépenser une somme d’argent hors de proportions avec tes ressources. Cette idée suffit pour me tourmenter outre mesure car je n’ai jamais eu l’esprit de calcul bien robuste. Aussi je ne vois pas trop comment je me tirerai de cette difficulté. Si j’étais seule ce serait bien facile et bien vite fait. J’aime mieux les ragoûts que le rôti et les pommes de terre que les haricots verts, pour lesquels je ne suis pas généreuse, comme le dit fort bien la marchande, mais je ne pourrai pas me résoudre à contribuer à te faire tomber malade en te faisant faire un régime contraire à ta santé. Je t’aime mon Toto avec les entrailles et le cœur et l’âme. Je t’aime mon Toto adoré, je baise tes chers petits pieds.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16343, f. 93-94
Transcription de Chantal Brière
a) « eu ».