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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 avril 1840

7 avril [1840], mardi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour mon adoré petit homme, bonjour je t’aime. Je suis levée et j’ai endossé le fameux bonnet qui pourtant ne me sert pas de casaquin [1] comme pourrait le faire croire ma première location. Pauvre bien-aimé pourquoi donc n’es-tu pas venu ce matin ? J’aurais été si heureuse, mon Dieu, et puis nous n’avions rien à dépenser et j’aurais profité de cela pour te raccommoder ton gant que j’ai vu décousu hier au moment de sortir et que j’ai oublié le soir. Et puis je t’aurais baisé comme un pauvre ange que tu es et j’aurais été la plus heureuse des femmes. Enfin ce n’est bien sûr pas ta faute nia celle de mon amour car il est impossible de t’aimer davantage et de te désirer plus de tout mon cœur et de toute mon âme que je le fais. Aussi, mon bon ange, je ne t’en veux pas, je t’aime, je te désire et je t’attends. Il fait un temps affreux aujourd’hui, j’espère que tu mettras des bonnes bottes pas crevées et quelque chose, habit ou redingoteb, sous ton paletot. Les rhumes sont très redoutables dans ce moment-ci et je ne veux pas que tu en attrapesc un. J’ai oublié cette nuit de te donner de la pâte de réglisse quand tu es parti, je me serais battue de regret, je suis une vieille bête qui à force de t’aimer ne sait plus ce qu’elle fait. Je ressemble à ces vieux savants qui savent la distance de la terre au soleil et qui ne savent pas que deux et deux font quatre. Moi je ne sais que t’aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 15-16
Transcription de Chantal Brière

a) « n’y ».
b) « redingotte ».
c) « attrappes ».


7 avril [1840], mardi soir, 6 h. ½

Tu ne viens pas mon Toto, j’espère que tu n’es pas malade et que ce sont tes occupations qui t’empêchent de venir me voir ? La journée est bien longue et bien triste quand je ne te vois pas, mon Toto, et cependant celle-ci n’a pas manqué d’occupation : fourbir et laver nos achats, travailler aux chemises et recevoir Penaillon, sans compter mon ménage, ma toilette et t’écrire deux fois. Eh ! bien tout cela ne m’empêche pas de trouver la journée éternelle, c’est pas ma faute. Je ne sais pas si tu me gronderas mais j’ai acheté deux coupons de toile encore plus avantageux que le précédent, il y en a six aunes dans l’un et cinq et demiea dans l’autre, celui de six aunes est de la toile la meilleure et la plus belle qu’on puisse trouver, j’ai acheté les deux coupons l’un dans l’autre 3 f. l’aune, c’est-à-dire 10 sous de plus que l’autre mais il y a plus de 3 f. par aune de différence entre ceux-ci et le premier. Au reste tu les prendras pour toi si cela te convient et si tu es trop gêné d’argent pour m’acheter ces quatre chemises. J’ai fait pour le mieux ainsi, mon bon petit bien-aimé, ne me gronde pas car je t’assure, argent à part, que c’est pour rien et [illis.] encore. Je suis triste ; si tu ne viens pas auparavant mon dîner je ne pourrai pas manger de bon cœur. Quel dommage que tu ne sois pas venu tantôt pendant que j’étais dans mes nettoyagesb, tu aurais bien ri : j’étais mouillée comme un caniche, noir comme un chien et laide comme le diable mais fière comme un pouc, car tout ce que nous avons acheté est admirable et pas cher, je t’assure que nous en aurions eu pour 40 f. chez un marchand de curiositésd. Mais je t’aime, mais je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 17-18
Transcription de Chantal Brière

a) « demi ».
b) « nétoyages ».
c) « poux ».
d) « curiositées ».

Notes

[1Casaquin : veste-corsage de femme descendant sur les hanches.

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