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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 novembre [1840], samedi soir, 5 h. ½

Je t’écris du coin de mon feu, mon adoré, la seule bonne place, après celle du lit quand tu y es couché avec moi, qu’il y ait dans l’appartement de ce temps-ci. Quel affreux temps, on croirait que la maison entière va se disperser sous le vent et sous la pluie. J’espère, mon bien-aimé, que tu ne vaguesa pas dans les rues de ce temps-là ? Non seulement tu te mouillerais mais il y 19 chances contre 20 pour que tu reçoivesb une cheminée ou une toiture sur la tête, ce qui ne serait en vérité pas bien gai ni pour toi ni pour moi. Tâche un peu de te tenir coi ou de ne sortir de ta hutte que pour venir dans la mienne après avoir pris toutes les précautions contre les tuilesc et les tuyaux.
Jour Toto, j’étais bien gentille hier à la même heure hein ? Oh ! si je vous avais tenu dans ce moment-là je crois que vous auriez passé un mauvais quart d’heure mais si je vous tenais maintenant vous en passeriez un très bon, ce qui prouve, comme vous le disiez ce matin, que les jours se suiffent [1] et ne se ressemblent pas. Avouez cependant que j’avais mille fois raison hier et que vous étiez un bien grand scélérat de vouloir me persuader que nous étions dans la canicule ? Au reste vous avez été pris dans votre propre traquenard et vous avez eu un froid de chien toute la soirée, c’est bien fait j’en suis contente et je voudrais que tous vos mensonges aient le même résultat. Seriez-vous attrapé hein ? Baisez-moi, brigand, et ne vous avisez pas d’aller faire le joli cœur ce soir chez aucune femelle si vous tenez à vos yeux. Car je suis bien décidée à vous les arracher tous à la moindre apparence d’infidélité. GARE à vous. En attendant je voudrais savoir quand vous comptez me faire sortir. Il y a trois semaines plein que je n’ai pas mis le pied dans la rue. Il serait bientôt temps cependant de me faire prendre l’air si vous ne voulez pas que je crève du mal de tête. J’espère que vous n’aurez pas le front d’aller au Théâtre-Français sans moi ? Ce serait très vilain et très méchant si vous faisiez ça et je me fâcherais pour de bon, car vous n’avez pas d’excuse honnête à me donner pour ne pas m’emmener avec vous dans cette caverne. Baisez-moi Toto je vous aime de toute mon âme. Ne vous faites pas écraserd et venez vite auprès de moi. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 175-176
Transcription de Chantal Brière

a) « vague ».
b) « reçoive ».
c) « tuilles ».
d) « écrasé ».

Notes

[1Orthographe fantaisiste qui imite un accent germanique.

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