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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 novembre [1840], vendredi après-midi, 2 h. ¼

Vous mettez trop de pantalon neuf, mon bien-aimé, et vous mangez trop peu d’oignons pour que je ne sois pas en proie à une jalousie atroce. Je vous préviens que je vais vous surveiller de près. En attendant je bisque et je rage plus que de raison. J’ai aussi très mal à la tête. Voilà bientôt quinze jours [1] que je n’ai pas mis le pied dehors. Après avoir pris l’habitude de vivre à l’air et de prendre beaucoup d’exercice pendant deux mois, le changement est un peu brusque. Il est vrai que je serais fort embarrassée pour sortir vu que je n’ai pas de chapeau, que je n’ai nulle part où aller et qu’il fait un temps affreux. Mais le mal de tête n’en persiste pas moins et la jalousie aussi. Il me semble que vous vous faites bien beau tous les jours et que vous dînez trop régulièrement dans la rue du 29 juillet. Vous voilà prévenu que je vous guette ainsi tenez-vous le pour dit. Jour Toto. Jour mon petito. Jour mon grand To. Il me semble que tu devais m’apporter de la copie ? Je ne vois rien venir et cela m’ennuie car j’aime mieux te copier que de faire mes chemises. Chacun à son goût et le mien est d’être le plus possible avec ta pensée. Apporte-moi donc bien vite de la copie et encore plus vite ton cher petit bec à baiser de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 157-158
Transcription de Chantal Brière


13 novembre [1840], vendredi soir, 5 h.

Quel vent et quel temps, mon pauvre amour, je voudrais savoir où tu es pour ne pas me tourmenter dans le cas où tu serais à l’abri de l’averse de tuilesa et de cheminées qui doivent pleuvoir sur la tête des passants dans ce moment-ci. J’ai dans l’idée que tu dois être à Saint-Prix [2] aujourd’hui auquel cas tu n’as rien à craindre de la tempête. Toute l’avarie reste pour moi seule alors. L’ennui, l’impatience et la jalousie, ce sont des genres de tuilesa et de cheminées qui tombent sur le cœur tout aussi bien que les autres sur la tête et qui y font encore plus de dégât.
Je vous aime mon Toto pourquoi ne venez-vous pas dîner avec moi tous les soirs quand vous êtes à Paris ? Vous allez devenir si rare et si occupé une fois votre famille de retour que vous auriez bien dû ne pas me rogner mon pauvre petit dîner sur toute une grande journée d’absence. Vous ne m’aimez pas comme je vous aime, mon Toto, sans cela vous penseriez comme moi et vous ne vous feriez pas tirer l’oreille pour me donner un bonheur dont vous auriez autant besoin que moi-même. Taisez-vous, vous n’avez pas la parole, méchant homme, vous êtes trop méchant. Faites votre MIEL ABEILLE et ne vous mêlez pas d’essayer à aimer avec la passion et la fidélité d’un pauvre chien, vous qui avez des ailes hiver et été. C’est bon pour moi qui n’aieb que quatre pattes.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 159-160
Transcription de Chantal Brière

a) « tuilles ».
b) « n’ait ».

Notes

[1Hugo et Juliette sont rentrés de voyage le soir du 1er novembre. Ils avaient quitté Paris le 29 août.

[2La famille Hugo s’était installée pour la saison d’été au château de la Terrasse à Saint-Prix. Hugo s’y rendait très régulièrement et revenait par la diligence de nuit. Il semble pourtant qu’à cette date Mme Hugo et ses enfants soient de retour à Paris depuis plusieurs jours.

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