Paris, 19 juin [18]74, vendredi, 8 h. du matin
Je ne demanderais probablement pas mieux que d’être aussi maussade et aussi pluvieuse que le temps ce matin, si je n’entendais pas en ce momenta, au-dessus de ma tête, la douce voix de Petite Jeanne chantant : Malbroughb s’en va-t-en guerre, mironton, etc., etc. Cette voix rose perdue dans ce ciel gris suffit pour faire lever un petit rayon dans le coin sombre de mon âme et je reprends confiance, force et courage pour accepter le reste de mon inutile vie. J’ai tout lieu de croire que tu n’es pas sorti à cause du mauvais temps et je t’en félicite doublement, car il n’est pas nécessaire de se faire tremper jusqu’aux os pour aller chercher bien loin ce qu’on a à l’abri sous la main. « Les bleuets sont bleusc, les roses sont roses, j’aime mes amours. [1] » Ce refrain s’obstine à se mêler depuis cette nuit à toutes mes pensées sans raison apparente que celle d’une mnémoniqued [2] déréglée. Je la laisse faire, cela calmera peut-être mon mal de tête. Toi, sois béni dans la vie et dans la mort.
BnF, Mss, NAF 16395, f. 114
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette
a) Le signe + est placé entre les deux lignes.
b) « Malbrougt ».
c) « bleux ».
d) « mnémonyque ».