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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 mai 1840

13 mai 1840, mercredi après-midi, 2 h. ½

Te voilà parti, mon adoré, Dieu sait quand je te reverrai surtout si tu vas à cette campagne [1]. Je sais bien qu’il faut que tu y ailles, mais je sais encore mieux le besoin que j’ai de te voir et de te savoir auprès de moi. Tout ce qui t’éloigne de moi, du corps et de la pensée, m’est odieux et insupportable. Avec cette disposition d’esprit je ne serai guèrea aimable aujourd’hui et il en sera de même chaque fois que je croirai que tu t’éloignes de moi pour longtemps.
Je regretterai éternellement que nous n’ayons pas pu prendre part à cette translation [2] non pour la gloire qui s’y rattache mais pour les six ou huit mois de bonheur, d’intensité et d’amour que nous aurions passés ensemble. Ce M. Thiers est bien absurde de n’avoir pas songé à cela auparavant de t’en parler. Je me serais faite aussi petite et aussi portative qu’on aurait voulu. J’aurais coupé mes cheveux, mis un pantalon et une petite blouse HERMAPHRODITE qui aurait suffib au décorum et à la discipline maritime. Enfin j’aurais tout fait pour être comprise dans l’expédition. Il est bien absurde que de leur côté MM. Les ministres n’aient songé à rien qu’à te proposer une chose impossible. Tant pis pour eux et tant pis pour nous qui manquons une occasion unique de bonheur et d’amour car je ne prévois pas un voyage bien prochain ni très long avec tout ce que tu as à faire. Enfin la vie ne me paraît pas sous un jour bien favorable aujourd’hui, cela tient à ce que je te crois parti pour longtemps et à la crainte peut-être trop fondée que j’ai que nous n’ayons pas notre petit voyage de deux mois cette année. Si tu revenais m’annoncer tout à l’heure que nous passons toute la journée ensemble et que nous partons dans huit jours pour un voyage de trois mois, je serais la plus joyeuse, la plus heureuse et la plus radieuse des femmes et je trouverais que tout est bon et admirable dans ce monde, même les créanciers et leurs petits. Baise-moi mon Toto et pense que je t’aime de toute mon âme et que toute ma vie et ma joie sont dans toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 139-140
Transcription de Chantal Brière

a) « guerre ».
b) « suffit ».

Notes

[1La famille Hugo s’installe au château de la Terrasse à Saint-Prix pour la saison d’été.

[2La veille, le 12 mai, Adolphe Thiers a obtenu un crédit pour le rapatriement des cendres de Napoléon Ier depuis l’île de Sainte-Hélène. Le prince de Joinville conduira l’expédition.

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