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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1851, 23 juillet, mercredi matin, 6 h. ½

Bonjour, mon bien aimé petit homme, bonjour. Est-ce que tu as pu dormir malgré le formidable orage de cette nuit ? Quant à moi il m’a été impossible de fermer l’œil et je me lève beaucoup plus fatiguée que je ne m’étais couchée. C’est la seule chose qui me vexe dans ces insomnies, car je préfère ne pas dormir et penser à toi que les affreux cauchemars auxquelsa je suis en proie pendant mon sommeil. Quant à toi, mon petit homme, qui n’a pas les mêmes motifs pour redouter les rêves, j’aime mieux que tu dormes toute la nuit et que tu te portes bien. Je pense avec chagrin que ton pauvre Charles va être séquestré pendant six mortels mois [1] et que je ne te verrai peut-être pas aujourd’hui. Je sais bien qu’il aura quelques heures de liberté à mettre à profit pendant cette absurde et monstrueuse séquestration, mais c’est égal, cela n’en reste pas moins hideux.
J’espère aussi que malgré tout ce que tu as à faire tu trouveras le temps de venir me chercher tantôt, mais le doute suffit pour remplir mon cœur d’une tristesse indicible. Mon pauvre cher bien-aimé, je t’aime trop pour être jamais heureuse maintenant. Je le sens et je voudrais mourir pour te laisser libre d’être heureux, toi, mon pauvre bien-aimé, si bon, si beau et si bien fait pour tous les bonheurs de ce monde.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 137-138
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « les affreux cauchemards auquels ».


23 juillet 1851, mercredi matin, 9 h.

Le temps s’annonce mal, mon Victor, et je crains que tu n’en ressentes la mauvaise influence surtout si tu es forcé de sortir et de te fatiguer. Comment vas-tu ce matin d’abord ? Comment as-tu dormi cette nuit ? Puis-je espérer te voir tantôt ? Ai-je quelque chance ? Je n’ose pas m’y fier car je sens que la déception s’ajouterait à mon chagrin et le rendrait encore plus amer. Je voudrais ne pas te parler toujours de moi, c’est stupide et ennuyeuxa. C’est déjà bien assez, mon Dieu, c’est beaucoup trop que je t’aime avec cette déraisonnable persistance. Je le sens et je voudrais m’en corriger mais le mal est incurable et ne s’en ira qu’avec moi. Je viens de recevoir une lettre de Brest [2] bien touchante et bien bonne comme tout ce qui vient du cœur de ces braves gens-là. Mon beau-frère me remercie de ton discours qu’il admire et qu’il fait admirer, aimer et bénir autour de lui ; il me prie de lui en envoyer plusieurs exemplaires pour lui et pour ses amis qui le répandront à l’envie l’un l’autre et le propageront partout où ils pourront. Je crains que son ardeur ne lui fasse oublier toute prudence, aussi je compte lui écrire à ce sujet pour lui dire de prendre un couvert, un nom, une adresse autre que les siens. Ma sœur avait à ce qu’il paraît fait arranger une chambre pour moi et il ne faut rien moins que la pensée que je mourrai éloignée de toi pour la consoler de ne pas m’avoir auprès d’elle. Pauvre femme, je la remercie, je te remercie aussi toi, mon doux bien aimé, j’accepte avec reconnaissance, avec docilité et avec amour toutes les marques d’affection, de dévouement, de bonté que vous me donnez tous. C’est à Dieu à faire le reste.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 139-140
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « c’est stupide et ennuieux ».

Notes

[1Après avoir été traduit en Cour d’Assises pour attentat à la loi suite à la publication d’un article sur la peine de mort, est condamné à 6 mois de prison. Il est incarcéré à la Conciergerie le 1er août 1851.

[2La sœur de Juliette Drouet, Renée-Françoise Gauvain, vit à Brest avec son époux, Louis Koch.

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