16 juillet 1851, mercredi soir [9 ?] h. ½
Où en es-tu, mon pauvre petit homme, que fais-tu et comment te trouves-tu depuis que je t’ai quitté ? Ma pensée a essayéa bien des fois de pénétrer jusqu’à aujourd’hui pour savoir ce que je devais craindre ou espérer mais sans succès, le don de seconde vue ne m’étant pas donnéb. Aussi je suis autant et plus tourmentée que jamais. Je ne sais rien et je redoute tout, manière de passer son temps peu agréable mais très triste. De ton côté mon pauvre bien-aimé, tu dois être agacé et épuisé par cette espèce d’attente prolongée qui n’aboutit pas et qui te tient en garde indéfiniment. Je n’ose pas croire que c’est fini pour toi ce soir, aussi je n’espère pas te voir car moins que jamais il faut risquer un enrouement par imprudence. Je fais ce sacrifice, non à la patrie dont je ne me soucie pas plus qu’elle de moi, mais à ta santé qui est plus que le cadet de mes soucis. Je donnerais tout au monde pour que tu sortes sain et sauf de cette bagarre parlementaire [1]. Je n’en serai peut-être pas beaucoup plus avec toi après, mais je n’aurai plus à craindre pour ta santé, ce qui m’est odieux. Couche-toi de bonne heure, mon bien-aimé, et ne te fais aucun remords de ne pas venir ce soir puisque c’est moi qui le désire et qui t’en supplie. Plus tard, lorsque tu te porteras bien, si tu crois que j’ai assez souffert et que mon amour mérite quelque récompense tu me donneras la joie de te voir plus souvent. Jusque-là, ne songe qu’à te ménager et à te guérir, car ta santé, c’est plus que mon bonheur, c’est ma vie.
Juliette
BnF, Mss NAF 16369, f. 121-122
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « Ma pensée à essayer ».
b) « le don de seconde vu ne m’étant pas donnée ».