Bruxelles, 6 juin 1852, dimanche matin, 7 h. ½
Bonjour, mon bien-aimé, bonjour je t’aime, c’est la première pensée qui me vient en m’éveillant et c’est la dernière avec laquelle je m’endors tous les soirs. Tout le reste de la journée, je te désire, je t’attends et je t’aime. Aujourd’hui j’ai déjà commencé cette douce occupation en m’inquiétant d’avance de ce que le bon Dieu me donnera de joie et de bonheur. Si j’en juge d’après les jours précédents, bien chétive sera ma part, mais il faut espérer que tu auras moins de Lamoricière [1], de Van Hasselt, de Hongrois [2] et de Piddington aujourd’hui que les autres jours. Je me cramponne à cette espérance pour ne pas commencer ma journée tristement. Je veux au contraire forcer le sort à force de patience et de confiance à s’humaniser pour moi et à me traiter un peu moins parcimonieusement. Il est vrai que de ton côté il faudrait un peu lui venir en aide et ne pas lui laisser toute la peine, mon cher petit homme. Ainsi, aujourd’hui, il faut tâcher de venir un peu plus tôt que d’habitude et essayer de faire une petite excursion dans la campagne. Je crois que nous en avons besoin tous les deux. Cependant, si tes affaires s’y opposent, je me résigne d’avance et je n’insiste pas davantage. Avant toute chose, même mon plus grand bonheur, il faut faire tes affaires et augmenter ta gloire. Je te le dis du fond du cœur, mon grand bien-aimé et sans la moindre arrière mauvaise pensée. Tous les sacrifices en échange de tes devoirs publics et privés, je suis prête à les faire. Je suis prête à donner ma vie pour ton bonheur quel qu’il soit. Je t’aime de tous les amours à la fois.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16371, f. 109-110
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
Bruxelles, 6 juin 1852, dimanche matin, 11 h.
Voilà depuis bien longtemps la première belle journée qui se soit produite. Est-ce que cela ne te dit rien à la pensée et au cœur, mon doux bien-aimé ? Quant à moi, il ne me faut pas tant de provocation pour désirer ardemment m’accrocher à ton cher petit bras et sentir s’épanouir d’aise tout mon être en plein air avec toi. Aussi Dieu sait combien je lui demande d’éloigner de ta maison tous les importuns et de t’inspirer la bonne pensée de venir me chercher de très bonne heure pour aller courir à travers champs. Pour mieux t’y disposer je vais m’habiller davantage afin que cette confiance le touche et qu’il m’accorde cette joie que je n’ai pas euea depuis bien longtemps. En attendant je vais copire le plus que je pourrai pour que ma conscience n’ait rien à reprocher à mon cœur. Fais-en autant de ton côté et nous pourrons nous donner sans remords une petite promenade de quelques heures. Il est probable qu’on m’offrira quelque chose dans ce genre-là chez les Luthereau mais, outre qu’il m’est odieux de sortir sans toi, je ne trouve vraiment pas amusant de nous les adjoindre pour nos promenades à pied. Ils nous gênent et nous les gênons, cela se comprend. Du reste, ils n’ont aucune de nos habitudes et nous ne goûtons pas beaucoup les leurs. Aussi, je suis très décidée à ne pas prêter l’oreille à leurs propositions, à moins que ce ne soit pour aller à la campagne à frais communs et que tu veuilles bien y consentir, toutes choses peu probables. J’aime mieux, à libre souhait, que tu viennes me chercher pour courir seule côte à côte avec toi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16371, f. 111-112
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
a) « eu ».