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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er juin 1852

Bruxelles, 1er juin 1852, mardi soir, 7 h. ½

Je me suis défiée ce matin, sinon de l’état de mon cœur, de l’état de mes forces et de ma santé qui influe toujours plus que je ne voudrais sur mon humeur. Voilà pourquoi, mon trop bien-aimé, je ne t’ai pas écrit plus tôt malgré le désir et le besoin que j’en avais. Ce soir, je me sens tout à fait bien aussi je m’empresse de me payer à moi-même la moitié de ma dette d’amour, espèce de rente viagère que mon cœur a fait au tien. Le jour où je manquerai à ce doux engagement c’est que mon âme aura déserté mon corps pour aller t’adorer ailleurs. En attendant, cher bien-aimé, daigne recevoir ce faible acompte pour aujourd’hui. J’ai vu combien Trouvé-Chauvel insiste pour que tu ailles tout de suite à Londres ou à ton défaut quelqu’un en qui tu aies toute confiance. Je comprends le motif qui te retient ; d’une part l’économie devenue plus que jamais pour nous une impérieuse nécessité. De l’autre, le regret de me laisser seule ici en proie à toutes les inquiétudes et à tous les chagrins d’une trop réelle séparation. Cependant, mon adoré bien-aimé, si le succès de ta publication prochaine et l’avenir de tout un vaste et utile projet tiennent à ta présence à Londres [1], plutôt que de m’y opposer en te suppliant de m’emmener avec toi, je te supplie au contraire d’y partir seul et d’y rester tout le temps indispensable pour la réussite complète et définitive de tout ce qui t’intéresse avec tant de raison. Je ne sais pas ce que je ferai, ni ce que je deviendrai tout le temps de ton absence. Je ne veux pas y songer pour ne pas user mon courage et ma résignation d’avance, mais ce que je sais, mon Victor trop aimé, c’est que tu emporteras avec toi ma joie, mon cœur, mon bonheur, mon âme et ma vie tout entière. Maintenant, mon généreux adoré, c’est à toi de voir combien de temps une pauvre créature humaine peut rester sans mourir tout à fait dans cette douloureuse léthargie du corps et de l’âme et ne pas prolonger une minute de plus que le temps rigoureusement nécessaire le plus grand supplice que puisse éprouver mon pauvre cœur déjà si éprouvé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 91-92
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Victor Hugo est à la recherche d’un éditeur pour l’ouvrage politique qu’il est en train d’écrire, le futur pamphlet Napoléon le Petit, et il est pressenti pour participer au journal Le Moniteur universel des peuples qui associerait d’autres proscrits réfugiés à Londres (Kossuth, Manzini) et l’équipe qui avait fondé et dirigé le journal L’Événement (les fils Hugo, Paul Meurice et Auguste Vacquerie).

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