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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 20 janvier 1852, mardi après-midi, 1 h.

Vous êtes mon cher petit homme bien-aimé et je veux tout ce que vous voulez, en tanta que vous n’aimerez que moi et que vous me serez bien fidèle. Je crois qu’il sera très difficile de régler l’affaire de Charles comme nous le désirons parce que ce cher enfant a des habitudes de loisir et de conversation qui ne vont pas avec l’oisiveté badoularde de nos excellents hôtes. Quant à moi, rien ne pourrait me faire plus de chagrin que de savoir que je lui suis antipathique. Aussi pour ne pas m’exposer à cette humiliante et amère déception je préfère lui rester à tout jamais étrangère plutôt que de risquer de n’être pas comprise de ce noble enfant que rien ne saurait m’empêcher d’aimer, ainsi que tous ceux de sa chère famille. Je te laisse donc entièrement libre de faire ce que tu voudras, mon adoré bien-aimé, sans même me réserver d’influencer en quoi que ce soit ta détermination, quelle qu’elle soitb. Chaque fois qu’il faudra m’effacer et m’annuler devant tes devoirs de famille et devant ton bonheur personnel je serai toute prête. Je ne te demande en retour de cette si complètec et si tendre abnégation que ta loyauté et ta sincérité en toute chose. Je veux tout savoir parce qu’il n’y a rien que je n’aie le courage d’accepter en vue de ta gloire et de ton bonheur. Mon Victor, si tu savais combien c’est vrai que je suis prête à me sacrifier jusqu’à la mort pour toi, tu comprendrais qu’il est impossible que tu me trompes sans te déshonorer et sans me rendre la plus malheureuse des femmes. Mais tu le sais, n’est-ce pas mon sublime adoré ? Aussi ce que je t’en dis c’est par surabondance d’amour et de dévouement car j’ai toute confiance en toi.
Voici la Suzarde qui revient de chez toi et qui m’annonce la visite du Bourgmestre, lequel te prie d’aller le voir à 3 h. J’espère que ce n’est pas pour quelque nouvelle chicane de police. Mais d’après ce que j’entrevois pour aujourd’hui il n’est guère probable que je te revoie avant le dîner. C’est bien long, mais j’ai en perspective la nuit prochaine, douce et charmante compensation qui m’empêche de me plaindre de l’exiguïté de mon bonheur d’aujourd’hui.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 33-34
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « temps ».
b) « quelqu’elle ».
c) « complette ».


Bruxelles, 20 janvier 1852, après-midi, 1 h. ½

Tu ne peux pas te figurer, mon bon petit homme, le plaisir que j’éprouve à copier tous ces épisodes du coup d’État. Les moindres choses prennent sous ta plume un intérêt et un charme extraordinaires et les grandes choses prennent des proportions si colossales que je reste en admiration devant, oubliant mon métier de copiste. Je ne sais pas quellesa seront les diverses élucubrations qu’on publiera sur les événements de Décembre mais ce dont je suis sûre c’est l’effet prodigieux et immense que fera ton livre lorsqu’il paraîtra. Il serait bien regrettable qu’il fallût attendre encore sept mois avant de le donner au public. Mais plus j’y pense, plus je vois ce que fait cette misérable canaille, plus il me semble possible que tu n’attendes pas jusque-là pour publier ton livre. J’en ai la ferme espérance ; nous verrons qui de cet infâme drôle ou de moi l’emportera. En attendant tu fais bien de ne pas perdre une minute de ton entrain et de tes chaudes impressions. Moi, fidèle à mon état de caniche, je marche derrière toi à quatre pattes en poussant çà et là mes petits grognements d’admiration sur votre admirable projet et mes hurlements d’indignation contre l’immonde Bonaparte. Tout cela ne m’empêche pas de dépister toutes vos bonnes fortunes avec Mademoiselle Constance et Madame sans dents, sans parler des dixièmes muses contrefaites qui veulent cumuler près de vous les emplois les plus familiers et les plus anacréontiques [1]. Mais sans avoir le pifb aussi incommensurable que celui de l’impérial gredin que vous savez, je l’ai assez fin pour flairer vos infidélités et les crocs assez durs pour mettre en pièce la femelle assez hardie pour se risquer dans votre antre. Je suis une vraie Juju de CHASSE. Prenez garde à vous, Toto, et ne tirez pas votre poudre aux Moignottes [2] de ce pays-ci et même d’autre part et d’ailleurs. Croyez-moi et restez tranquille avec votre toutoute Juju à vos pieds.

BnF, Mss, NAF 16370, f. 31-32
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quels ».
b) « piff ».

Notes

[1On ignore de quelles femmes Juliette est alors jalouse.

[2Jeu de mots à partir de l’expression « tirer sa poudre aux moineaux » qui signifie selon Pierre Larousse « se mettre en frais, prendre beaucoup de peine pour une chose qui ne le mérite pas ».

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