26 décembre [1841], dimanche, 1 h.
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher amour, je t’aime. Comment vas-tu ? Tu n’as pas eu froid cette nuit, mon pauvre petit Toto ? J’ai bien pensé à toi va, mon petit homme chéri. Écoute, mon adoré, si tu crois ne pouvoir pas refusera sans inconvenance ce parrainageb qui m’afflige, fais-le, mon Toto, j’y consens sur la parole sacrée que tu m’as donnéec d’être très réservé avec l’accouchée et de ne plus accepter d’autre compérage à l’avenir [1]. Enfin, mon cher adoré, tu vois que je suis raisonnable et que je fais contre fortune bon baptême. Je ne veux pas que par ma faute personne puisse jamais douter de ta noblesse et de ta bonté de cœur. J’aime mieux souffrir. Maintenant, embrasse-moi et n’en parlons plus.
Je me lève bien tard, mon Toto, mais ma pendule avance [2]. Ensuite, je suis un peu souffrante, j’ai eu et j’ai encore beaucoup de coliques. Je crois que j’aurais besoin de bain, je pense en prendre un ces jours-ci le plus tôtd possible. Baise-moi, mon cher bien-aimé, pense à moi et viens me voir bien vite.
Jacquot est mélancoliquement perché près de la porte de sa cage mais je ne veux pas la lui faire ouvrir encore pour qu’il n’ait pas si froid. Ce pauvre mogneau a l’air tout malade, je crois que nous le faisons coucher trop tard. Jour Toto, jour mon cher petit {o}. Je t’aime, mon adoré, toujours de plus en plus si on peut aimer plus que de tout son cœur et de toute son âme. Tu étais si bon, si tendre, si doux et si charmant cette nuit que j’aurais voulu t’aimer à genoux. Mon Toto, mon Toto, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 249-250
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « refusé ».
b) « parrainnage ».
c) « donné ».
d) « plutôt ».
26 décembre [1841], dimanche soir, 11 h. ½
Je vous écris bien tard, mon Toto, mais ce n’est pas ma faute puisque j’ai eu depuis tantôt du monde [3] et parce que j’ai voulu compter mon linge tout prêta pour demain, dans le cas où tu m’aimerais assez pour venir déjeuner avec moi, ce dont je doute un peu, entre nous soit dit. Depuis que le soin de ta toilette t’absorbe, je te vois à peine et mes caresses te sont devenues insupportables. Je ne dis pas cela en manière de plaisanterie car je le crois et je m’en afflige. C’est au point que je prends dès ce soir l’engagement fort sérieux et fort triste de ne plus t’embrasser pour n’avoir pas à mêler le souci grotesque de ta frisure aux plus vifs et aux plus tendres épanchements de mon cœur. Je donnerais les deux tiers de ce qui me reste à vivre pour ravoir mon Toto d’autrefois. Tout ce que vous gagnez en coquetterie, je le perds en amour, c’est décidément bien triste [4]. Je ne veux plus en parler parce que je sens que j’irais beaucoup trop loin, j’aime mieux garder mon chagrin pour moi. D’ailleurs, je suis très convaincue que lorsque l’amour s’en va, ni plainte, ni reproche, ni colère, ni tendresse ne peuvent le retenir.
Vous êtes parti bien vite tout à l’heure et sans m’offrir de sortir, cependant il fait beau et clair de lune. Vous n’êtes pas bien affectueux ce soir, si vous êtes bien frisé. Enfin, en voilà beaucoup trop de dit à ce sujet. Avancez, que je vous baise avec précaution et prenez garde de déformer votre rouleau. Je vous aime mais je suis triste comme un chien, à qui la faute ?!
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 251-252
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « près ».