14 décembre [1841], mardi soir, 5 h. ¾
Vous ne faites que paraître et disparaître absolument comme le soleil dont vous êtes L’IMAGE, et comme lui vous laisseza l’ombre et les regrets, cette neige et cette glace du cœur. Où allez-vous si beau, si paré et si pressé ? J’aurais dû vous suivre et m’assurer par moi-même de votre conduite, c’est ce que je ferai dorénavant.
J’espère que j’ai bien fait toutes vos commissions ? Vous ne faites pas les miennes comme ça, vous, il n’y a pas de danger. Depuis le temps que je vous dis de m’aller chercher le OQUET gris. Il m’a fallu huit ans et demi pour avoir la boîte à volets et il m’en faudra probablement le double pour avoir le susdit oquet gris. Ainsi, pour peu que je sois pressée, j’ai le temps d’attendre. À propos d’attendre, je vous prie de ne pas me jouer le même tour ce soir qu’hier parce que je ne rirai que d’une joue et que je me fâcherai de l’autre tout cramoisi. C’est se moquer un peu trop fort de la Juju que de la faire attendre auprès de ses tisons jusqu’à trois heures du matin un affreux bonhomme qui ne vient pas. Tâchez que ça ne vous arrive plus.
Je n’ai pas mangé de votre chocolat, vilain avare de gourmand. J’ai gardé mon mal d’estomac et mon estime que je ne vous ficherai certainement pas car vous ne la méritez guère. J’aimerais mieux la donner à Jacquot qu’à vous, ainsi vous voyez.
Je sais quelqu’un qui serait à la joie de son cœur si Barbedienne lui tenait la promesse qu’il lui a faite [1], je sais une Juju qui sera bien heureuse dans seize jours un quart [2], enfin je sais une FAUME qui vous adore en dépit de vos vices et de votre difformité. Quel courage, hein ? Baisez-moi, monstre, et tenez-vous pour averti.
Ma foi, vous n’avez jamais si bien fait que de me mettre votre PLACARD sous le nez, cela m’a donné l’occasion et le DROIT de voir le plus ravissant chapitre du monde sur la souris et sur le lézard-salamandre qui a failli vous débarrasser de moi à tout jamais [3]. J’ai lu encore un fragment de cette fameuse CONCLUSION que la scélérate de Didine m’avait interceptéeb [4] et j’ai sentic dans mon cœur de Française l’ardillon allemand qui blesse MA BELLE PATRIE depuis plus de vingt-cinq ans [5]. Oui je me suis régaléed, oui je m’en ai mis jusqu’aux oreilles, oui oui et je le ferais encore si j’osais me plonger DANS LES BONNES FEUILLES. Je le ferai si vous ne venez pas bien vite. Tiens, c’est vrai ça aussi, pourquoi me laissez-vous toujours seule.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 209-210
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « laisser ».
b) « intercepté ».
c) « sentie ».
d) « régalé ».