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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 mai 1839

24 mai [1839], vendredi midi

Bonjour, mon petit homme chéri, bonjour mon adoré. M’aimes-tu ? Moi je t’aime. J’ai bien regretté hier que tu ne m’aies pas dit que tu viendrais souper auparavant que nous soyons sortis de la maison, parce qu’alors j’aurais fait arranger un petit repas par Suzanne et j’aurais soupé avec vous. C’eût été moins bête que d’aller chez la mère Pierceau. Au reste, en voilà pour un bout de temps et si vous êtes juste, vous me rendrez en petites promenades et en bonheur les insignifiantes et souvent ennuyeusesa visites que je faisais chez la mère PIERCEAUTTE. Je vous aime qu’on vous dit. Les pauvres Lanvin sont toujours dans le même état : ni pire ni mieux [1]. Mais la stagnation, dans la maladie, pour des gens qui attendent après leur travail en pleine santé pour vivre est déjà un très grand malheur. Aussi, je les plains de tout mon cœur.
Le temps est toujours maussade et hargneux : tantôt un rayon de soleil qui vous chatouille le bout du nez comme une barbe de plume, tantôt le froid qui vous pince les coins de la bouche et qui vous empêche de rire ou bien la pluie qui vous attriste et vous fait pleurer. En vérité, il faut avoir du courage pour vivre sous un pareil ciel.
Vous saurez, mon Toto, que je n’ai plus de papier à écrire et que je ne l’ai employé que pour vous, excepté celui que vous avez gaspillé [illis.] [illis.]

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 197-198
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieuses ».


24 mai [1839], vendredi soir, 6 h.

Depuis que tu es parti, mon adoré, j’ai les yeux et l’âme fixés sur l’éblouissante poésiea que tu viens de me donner [2]. Le pauvre petit esprit que j’ai dans moi vacille et va de travers comme un homme ivre. Ce n’est donc pas le moment de te dire ce que je sens, car le zigzag que je ferais sur le papier ne prouveraitb qu’une chose, c’est que je suis ivre d’admiration et d’amour parce que j’ai bu tes beaux vers jusqu’à la dernière goutte. Pardonne-moi de ne savoir pas mieux porterc l’admiration et le bonheur et laisse-moi t’aimer de toutes mes forces. Je me trouve encore plus bête aujourd’hui qu’à l’ordinaire. Les pauvres haillons de mon pauvre esprit ressortent davantage à côté du splendide manteau de votre génie assez grand pour couvrir le monde.
Si je m’en croyais, mon Toto, je laisserais là mon gribouillage et je me mettrais à genoux devant ta pensée car je sais mieux aimer qu’admirer. Tiens, vois-tu, plus je veux reprendre mon équilibre et plus je suis absurde. La tête me tourne absolument et je ne sais plus ce que je dis. Une autre foisd, quand je me griserai avec vos beaux vers, je ne me montrerai pas à vous dans cet état pour que vous ne vous moquiez pas de moi. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 199-200
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « poësie ».
b) « prouveraient ».
c) « porté ».
d) « autrefois ».

Notes

[1La fille des Lanvin est malade depuis plusieurs jours.

[2La veille, Victor Hugo a écrit le poème « Mille chemins, un seul but » (Les Rayons et les Ombres, 26).

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