5 novembre [1841], vendredi matin, 11 h.
Bonjour Toto. Bonjour mon petit o. Si c’est aujourd’hui qu’on juge votre procès, bonne chance et prompt débarras. Je n’ai plus qu’un mois et 25 jours, je n’aurais même rien du tout à attendre pour être mise en possession de ma [petit dessin carré un peu confus [1]] mais vous êtes un homme monstrueux Monseigneur et vous me faites tirer la [elle se dessine tirant une longue langue] d’un pied de long pour une chose qui m’est légitimement due. Puisse l’internelle consolacion vous être à tout jamais refusée pour vous apprendre à me torturer comme vous faites.
J’espère que vous gagnerez votre procès et que vous viendrez m’en apporter tout de suite la nouvelle parce que je n’entends pas la plaisanterie moi entendez-vous ? Il fait bien beau ce matin mais il fait bien froid aussi. C’est demain que j’aurai ma pauvre péronnelle. J’aurais voulu pouvoir lui montrer votre cher petit buste mais je vois bien que cet affreux Barbedienne n’est pas prêt à me l’envoyer [2]. Que le Bon Dieu le rapatafiole. J’ai oublié de te dire hier qu’en mettant 50 F. de côté il ne me restait plus que 10 F. voilà ce que c’est que [les provisions]. Cependant par obéissance je les ai mis de côté jusqu’à nouvel ordre. Il me semble aussi que vous ne m’avez pas donné à copier. Vous savez pourtant que c’est mon seul vrai plaisir. Si vous venez de bonne heure je vous en demanderai. En attendant je me brosse le ventre au soleil et je grelotte à vous rendre jaloux. Je vous attends avec une impatience peu modérée et un amour idem. Ne me faites pas languir.
Juliette
Vente Artcurial, 14 décembre 2010, Thierry Bodin expert.
Transcription de Jean-Marc Hovasse
5 novembre [1841], vendredi soir, 5 h. ¾
Vous venez très peu vite, mon amour. Cependant, j’ai grand hâte de vous embrasser et de connaître l’issue de votre procès, vous devriez savoir cela et me faire un peu moins languir [3]. Mais vous ne pensez à moi que quand vous me voyez, ce qui n’arrive pas souvent comme vous savez et ne dure pas longtemps.
J’ai envoyé Suzanne chez Jourdain pour le talonner [4] et, pendant ce temps, j’essaie d’allumer mon feu sans pouvoir en venir à bout et je suis asphyxiéea par la fumée. C’est vraiment peu amusant et je ne désire pas te voir dans ce moment-ci à cause de tes pauvres yeux, c’est le seul cas qui me fasse faire un pareil souhait.
J’ai cherché mes cheveuxb blancs toute la journée et encore je n’ai pas fini, j’aurai plus vite fait de chercher les cheveux noirs car ils sont très clairsemésc maintenant. Au reste, c’est le parti que je prendrai dorénavant, pendant que vous arracherez vos cheveux blancs, moi je me tirerai mes cheveux noirs. À nous deux, nous résoudronsd le problème des cheveux d’une seule nuance [5]. Je sens que je dis un tas de bêtises qui n’onte ni queues ni têtes et que je ferais bien mieux de me taire. Aussi, c’est ce que je vais faire après vous avoir dit que je vous aime et que je vous adore et que je n’ai plus que deux mois et 24 jours pour avoir la plus jolie boîte à volets de l’univers, y compris les cinq parties du [monde ?] [6]. Mon Dieu, que je suis bête, c’est dégoûtant.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 91-92
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « asphixiée ».
b) « cheveaux ».
c) « clairs semés ».
d) « résoudront ».
e) « non ».