Paris, 1er novembre [1879], samedi matin, 8 h. ¾
Cher bien-aimé, je t’embrasse au nom de tous les saints dont tu es le chef suprême. Je te donne autant de baisers qu’il y a de jours dans l’année et je te bénis depuis Pater jusqu’amen. Je te prie de ne pas sortir encore de ta niche car il fait un temps à ne pas mettre un saint dehors en ce moment ; un brouillard à couper au couteau et d’une odeur tout à fait désagréable. Il serait fâcheux d’être en mer ce matin. Il est vrai qu’hier à la même heure il y avait un soleil exquis et qu’il n’y a pas de raison pour qu’il ne se montre pas demain et le jour de notre traversée dans les Îles. C’est ce que j’espère. En attendant je me prépare pour ce petit voyage en me confiant à Dieu : Deo Volente [1].
Comment as-tu passé la nuit, mon grand petit homme ? Bonne, n’est-ce pas ? Cela est d’autant plus nécessaire qu’il faut qu’elle l’ait été doublement pour toi et pour moi qui n’ai pas dormi de la nuit. Aussi je me sens un peu patraque ce matin mais cela se passera d’ici à tantôt.
C’est une chose bien touchante, mon grand adoré, que l’hommage commémoratif adressé tous les ans à tes deux chers enfants, Charles et Victor, par cette pauvre ouvrière républicaine dont le désintéressement est si sincère qu’elle tient à garder le plus strict anonymatb. Il n’a fallu rien moins que l’insistance prolongée de Mariette vis-à-vis le commissionnaire pour savoir le nom et l’adresse de cette noble femme. Mais tu n’en esc pas plus avancé pour cela car il faut, de toute nécessité, que tu respectesd les scrupules délicats de cette honnête femme. Quant à moi je lui voue incognito, aussi, toute ma sympathie et à toi toute mon adoration.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 262
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette
a) « stricte ».
b) « anonyme ».
c) « n’es ».
d) « respecte ».