17 avril [1841], samedi matin, 11 h. ¾
Bonjour cher bijou bien-aimé et bien adoré, comment vas-tu ? Tu n’es pas encore venu ce matin malgré toutes les menaces et toutes les prières que je te fais pour cela. Tu ne seras content que lorsque je t’aurai donné une RÂCLÉE soignée. En attendant c’est moi qui suis le dindon de la farce, ce dont j’enrage. Tâche de venir tantôt pour que je porte l’argent de la pension [1], puisque nous l’avons il vaut mieux payer tout de suite parce qu’on ne sait pas ce qui peut arriver, ce qui peut arriver, ce qui peut, ce qui peut arriver. Si tu viens me chercher je serai prête tout de suite parce que j’ai fait ma toilette à fond hier. Ma pendule avance de trois quarts d’heure [2] et je serai prête d’ici à une heure.
Il fait un temps ravissant et si nous avions eu le temps je t’aurais prié de me mener voir mon pauvre père [3]. Quand donc aurons-nous un peu de temps pour nous aimer et pour être heureux ? Depuis que je suis revenue de voyage, pour mon compte je n’en ai pas eu beaucoup de bonheur [4]. Le tout tiendrait bien facilement dans ma dent creuse et ne la remplirait pas. Il serait bientôt temps que ce régime absurde fût remplacé par un meilleur. À propos de régime il faut cependant faire venir M. Triger si on veut commencer ce fameux traitement, il est déjà très temps et bientôt il sera trop tard. Donne-moi ton jour et je lui écrirai de venir [5].
En attendant baisez-moi, scélérat, et aimez-moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 59-60
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
17 avril [1841], samedi soir, 9 h. ¼
Comprends-tu cette stupide Suzanne qui vient de me dire seulement tout à l’heure que Mlle Hureau était venue presque derrière nous [6] ? On n’est pas plus ahuriea que cette pauvre servarde. Maintenant je voudrais bien savoir ce que me voulait Mlle Hureau car il paraît qu’elle doit revenir demain ou après de midi à une heure, heure que cette imbécileb de Suzanne lui a laissé prendre sans l’avertir que ce n’était pas la mienne, car enfin tu peux être chez moi dans mon lit à cette heure-là. En somme je suis très vexée contre la serventre et contre la maîtresse d’école, que le bon Dieu les patafiole [7] ?
J’ai donné les plus vieilles BAUTTES à cet affreux Fouyoux [8], plus un énorme morceau de pain et de bouilli, plus 4 sous et un demi verre de vin. En échange je crois qu’il m’aura laissé quelques millions de puces et plusieurs centainesc de milliards de poux et autres car ond n’est pas plus grouillant, plus croûteux et plus teigneux que cet affreux petit mendiant. Mais UN BIENFAIT N’EST JAMAIS PERDU, c’est pourquoi je me gratte de toutes mes forces depuis tantôt. À propos de citation, Mme de Girardin en vient de faire une pomméee [9] attribuée à je ne sais quel auteur anonyme qui n’est autre qu’un affreux blagueur menteur et floueur de ma connaissance : « trancher le fleuve des révolutions avec la massue abondante de votre éloquence », a été créé et mis au monde par un affreux Toto en l’an 1840 par un beau soir de lune et de blague et une Juju, encore de ma connaissance, l’a serré soigneusement dans une magnifique collection de bocages de cornichons et de Heidenloch ou trou des Païensf [10]. Et voilà comment on écrit l’histoire, ia, ia monsire matame, il est son sarme. Baisez-moi, scélérat, je vous pardonne.
BnF, Mss, NAF 16345, f. 61-62
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « hahurie ».
b) « imbécille ».
c) « centaine ».
d) « ont ».
e) « pomée ».
f) « Payens ».