12 mars [1841], vendredi, midi ½
Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon bon petit homme, bonjour mon cher et ravissant Toto. Tu as été bien bon et bien doux hier, mon pauvre adoré, en me faisant sortir et en me menant chez la mère Pierceau malgré tout ce que tu avais à faire [1]. Je sens bien cela, mon adoré petit homme, et je t’en remercie du fond du cœur. Cela m’a fait beaucoup de bien, à part les petites écorchures que tu sais. En voilà pour un bout de temps aussi, et je vais me tenir tranquille comme une image tout le temps que tu voudras.
Je vais vous faire faire votre beau paletot pour vous récompenser, pourvu que cette fille réussisse bien [2]. C’est tout ce qui faut mais elle est si nonchalante, si sale et si absurde que je ne suis pas sans inquiétude sur le sort de votre pauvre casaquin [3]. Je me lèverai tous les jours de bonne heure et je la surveillerai. Il ne fait plus froid maintenant, ainsi ça me sera très facile [4]. Pour cela, je ne le ferai commencera que lundi.
Quel beau temps, mon pauvre amour, quelle joie. Si nous avions seulement deux pauvres petits jours entiers à nous pour courir la campagne et pour nous aimer [5]. Ce n’est pas que je t’aime moins dans l’appartement [6] mais l’amour est comme les fleurs, il faut qu’il s’exhaleb à l’air sous peine d’asphyxierc celui qui le respire. C’est pour cette raison que tu viens si rarement et que tu restesd si peu auprès de moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 231-232
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « commencé ».
b) « s’exale ».
c) « asphixier ».
d) « reste ».
12 mars [1841], vendredi soir, 5 h. ½
Je te dois une lettre d’hier, mon adoré. Il y avait si longtemps que j’avais perdu l’habitude d’aller chez la mère Pierceau et son logement étant tout à fait nouveau pour moi, je ne me suis pas souvenuea assez à temps que je t’écrivais chez elle chaque fois que j’y allais. Cela tient à ce qu’il y a plus de dix mois que je n’y ai mis les pieds. Je ne peux pas dire cependant que j’aie tout à fait oublié cette chère habitude mais il était trop tard lorsque je m’en suis souvenue. Je répare ma faute aujourd’hui. J’aurais voulu que vous vous en aperçussiezb en même temps que moi, cela m’aurait prouvé que vous n’aviez pas oublié les marques d’amour que je vous donnais en tout lieu, en tout temps et à toute occasion. J’ai été triste de voir que cela n’avait laissé aucune trace dans votre esprit ni dans votre cœur, c’est triste, triste. Je sais bien que vous travaillez, mon amour. Je me dis cela pour me consoler, mais il n’en reste pas moins ceci qu’autrefois vous n’étiez pas moins préoccupéc et que cela ne vous empêchait pas de m’aimer. Je ne veux pas m’appesantir trop sur cette pensée dans la crainte de vous ennuyerd et de me faire plus de chagrin que je ne pourrais en supporter. Baisez-moi, mon amour, baisez-moi et si vous m’aimez toujours, faites-moi d’affreuses scènes, battez-moi sur l’apparence d’un oubli. Je le veux, je l’exige, cela me fera du bien et du bonheur. En attendant, je vais copier le livre rouge [7] et le livre vert [8]. Auparavant, je vais me débarbouiller.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 233-234
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « souvenu ».
b) « apperçussiez ».
c) « préocupé ».
d) « ennuier »