9 janvier [1841], samedi matin, 11 h. ¼
Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour, bonjour, je t’aime.
J’espère que tu n’as pas eu froid cette nuit, mon amour ? Il ne faut pas être malade, mon académicien [1]. Quoiqu’il soit d’uniforme dans le corps où tu es entré depuis deux jours d’être vieux, cacochyme, podagre et blaireux, je te conseille d’être ce que tu es, jeune, beau, alerte et bien portant.
Pense à moi, mon Toto, au milieu de la foule chez toi et dans tes nombreuses visites [2], pense à moi qui suis si seule et qui t’aime tant, et tâche de dérober un moment pour venir me donner du courage et de la résignation. Pense que je n’ai aucun des bénéfices de la chose et que j’en ai tout l’ennui et toute la tristesse. Je t’aime mon Toto, je t’aime mon cher petit bien-aimé.
Nous allons avoir un mois bien rude encore, mon Toto. Le loyer [3], les créanciers demain [4], la pension de Claire [5] et du bois, sans compter la dépense journalière de la maison, en voilà Dieu merci de quoi t’écraser, pauvre bien-aimé. Encore, je ne compte pas l’argent de l’assurance qui je crois échoita ce mois-ci. Je ne sais pas, mon cher bien-aimé, comment tu pourras t’en tirer, c’est effrayant et ne contribue pas peu à me rendre triste et inquiète. Et je ne peux rien faire pour t’aider, mon pauvre petit homme, voilà ce qui me désespère. J’ai l’air d’un coq en pâte qui ne s’occupe qu’à engraisser tandis que j’ai au contraire le cœur rempli de chagrin et d’amertume. Il faut t’aimer plus que de tout son cœur pour supporter que tu fasses tout et moi rien [6]. Si tu ne crois pas cela, c’est que tu m’aimes moins que je ne t’aime. Mon Toto adoré, baise-moi. Tâche de venir bientôt et prends garde de tomber ou d’avoir froid.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 23-24
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « échoie ».
9 janvier [1841], samedi soir, 4 h. ½
Eh ! bien, mon cher petit homme, vos visites commencent-elles à se terminer ? Je puis bien m’en informer j’espère puisque c’est moi qui en faisa tous les frais. Je me suis dépêchéeb de me mettre sous les armes [7] dans le cas où vous auriez eu la bonne pensée de venir me chercher. Cela ne m’a pas beaucoup réussi comme vous le savez.
J’ai copiéc ce matin les deux petites notes additionnellesd du 15 décembre [8] sur la chemise de la copie ainsi que vous me l’aviez ordonné, il ne me reste plus maintenant qu’à vous demander un mot que je n’ai pas pu déchiffrer et ce sera fini.
Je t’aime, mon Toto adoré, je tâche de te le prouver en ne me plaignant pas trop haut de ton absence mais cela est plus facile à dire qu’à faire quand on sent comme moi le bonheur d’être avec toi. J’y fais tout mon possible cependant et si je n’y réussis pas ce n’est pas ma faute.
Je ne reçois toujours pas de nouvelles de Mme Krafft [9]. Je persiste à croire que tu n’as pas mis la lettre à la poste mais dans quelque soupirail de cave. Au reste peu importe, le malheur n’est pas très grand dans tous les cas. Je voudrais n’en éprouver jamais d’autre. Baise-moi, mon Toto, et tâche de venir embrasser ta pauvre morfondue.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 25-26
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « fait ».
b) « dépêcher ».
c) « copier ».
d) « additionelles ».