18 février [1841], jeudi matin, 11 h. ½
Mon bien-aimé, mon Toto, mon adoré, quelles bonnes et ravissantes paroles tu m’as écritesa sur mon cher petit livre rouge [1] cette nuit [2]. J’aurais voulu les dévorer et les boireb. Je les baisais des yeux, des lèvres et de l’âme ; je les admirais, je les caressais, je les adorais.
Je voulais passer la nuit dans cette contemplation mais j’ai craint de t’inquiéter dans le cas où tu aurais vu de la lumière trop tard dans ma chambre [3]. Et puis, j’espérais que tu allais venir, mon bien-aimé, c’est ce qui m’a donné le courage de me séparer de mon livre d’amour pour le reste de la nuit. Quand je dis me séparer, c’est une manière de parler car je l’ai mis sous ma tête et ma main sous mon oreiller. Je le touchais des doigts et ma pensée, mon cœur, mon âme étaient restés sur la page de flamme.
Pourquoi n’es-tu pas revenu, mon adoré ? C’était pourtant la plus grande solennité de notre vie d’amour, la plus grande, la plus sainte ; mon adoré, pourquoi donc n’es-tu pas revenu pour la fêter ? Je sais bien que tu travailles, mon Toto chéri, mais tu pouvais peut-être ajourner ton travail tandis que le 17 février s’est envolé pour un an. Je ne veux pas te gronder, mon amour, sans savoir si tu n’as pas été retenu par des raisons sérieuses ou tristes.
Je t’aime, je t’attends, je te désire et je t’adore. Tâche de venir bien vite auprès de moi, mon adoré. Si tu peux me conduire chez mon père je ne serai pas longtemps à m’habiller [4]. En attendant, je vais relire tes adorables pages de cette nuit et les baiser depuis le haut jusqu’en bas à chaque ligne, à chaque mot, à chaque lettre. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 155-156
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « écrit ».
b) « boires ».
18 février [1841], jeudi soir, 6 h. ½
Merci mon bien-aimé, merci mon doux et ravissant petit homme. Tu es aussi bon que tu es beau, je t’adore. Notre 17 et 18 février a été bien fêtéa, à part une certaine cérémonie, la plus importante tout bonnement, que vous avez escamotée avec beaucoup d’adresse et d’esprit. Il est impossible d’être plus anniversaire et plus charmant que vous aujourd’hui, mais ce qui est différé ne doit pas être perdu et j’entends que vous me rendiez ma matinée cette nuit même ou je me fâche tout rouge, vous entendez ? Baisez-moi et taisez-vous.
Je suis tout de même un peu vexée du fameux couvercle écrabouillé. Je n’avais acheté la soupièreb que pour son couvercle et c’est justement ce qui a été brisé. Quel bonheur !!! J’aime encore mieux que ce soit lui que le saint François [5]. Ma philosophie et ma tendresse maternelle auraient été à une violente épreuve si ma Clairon m’avait fait cet abominable chef-d’œuvre sur ma statuette [6]. Quellec horreur, d’y penser j’en ai la chair de poule. Dieu soit loué de ne m’avoir pas mise à une pareille épreuve. Sur ce, baisez-moi et apprêtez-vous à revenir cette nuit m’apporterd le reste de mon 17 février 1841. Je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 157-158
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « fêter ».
b) « soupierre ».
c) « Quel ».
d) « m’apporté ».