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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 août [1836], lundi matin, 10 h. ¼

Bonjour cher petit voyageur. Je pense que vous n’allez pas tarder à présent à vous remettre en route pour revenir à Paris. Je me suis ennuyéee comme quatre hier mais je vous ai aimé comme trente six et PLUS.
J’ai été interrompue à cet endroit par un vomissement de bile des plus effroyeux [1]. Ensuite par mon cordonnier qui m’a confirmé ce que nous savions déjà, qu’Harel emplissait le théâtre de billetsb à 10 sous et à 20. Tout cela avec des détails que je te dirai. Il m’a dit aussi que c’était aujourd’hui la St Marie. D’où je conclus que vous allez rester à Fourqueux [2] pour tourner l’orgue [3] en l’honneur de la Vierge et puis un peu pour vous faire admirer par tous les yeux féminins de l’endroit, ce qui ne m’arrange que médiocrement.
Je vous le répète, mon cher bien-aimé, je trouve que je joue un triste rôle. Ma foi gare à l’insurrection, le vent souffle avec force de ce côté. Je veux bien vous être fidèle et dévouée mais je veux aussi jouir de mes droits les plus légitimes, ceux que conserve même une femme mariée.
En attendant je reste là à vous attendre. Je me fais du mauvais sang, je vomis ma bile et je dis des bêtises que j’ai la faiblesse de croire très méchantes. Et puis je vous aime de toute mon âme.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 236-237
Transcription de Nicole Savy

a) « ennuiée ».
b) « billet ».


15 août [1836], lundi soir, 7 h. ½

Tu vois mon cher bien-aimé que j’avais deviné juste ce matin quand je croyais que tu resterais pour la fête à Fourqueux. Je ne t’en veux pas, je sens bien qu’il faut que tu fasses ce que tu fais pour ta famille. Mais d’un autre côté je sens aussi que ma position n’a pas le sens commun et qu’il est absurde que sous prétexte de sécurité tu m’empêches de faire ce que tout le monde fait. Par exemple hier et aujourd’hui il m’aurait été fort agréable, ne pouvant pas passer la journée avec toi, d’aller prendre ma fille et de la promener un peu. Ce n’est pas quand tu es avec moi que je le peux faire, ce n’est pas non plus les jours de classe qu’il faut que je choisisse.
Au surplus mon enfant il faudra que nous nous entendions une bonne fois pour toutes à ce sujet. Il faut absolument que nous apportions quelques modifications dans notre manière de vivre, c’est-à-dire dans la mienne. Je ne veux pas abuser de ta confiance mais je veux user de ma liberté en temps [4] qu’elle ne prendra rien sur celui que nous avons à passer ensemble. Tu seras libre de t’assurer de ce que je fais. Je ne crains pas ta surveillance, au contraire, mais je veux user de mon droit. Ce que je tea demande est tellement légitime et j’ai la conscience si nette que je ne comprendrais pas comment tu te refuserais à m’accorder ce qu’on accorde à toutes les femmes, même dans la jalousie la plus frénétique.
Nous parlerons de cela demain car j’espère que tu viendras demain. En attendant je te baise partout.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 238-239
Transcription de Nicole Savy

a) « te je », le « te » ajouté par erreur avant le « je ».

Notes

[1Néologisme humoristique de Juliette.

[2Cet été-là, Victor a loué une maison à Fourqueux, entre Saint-Germain-en-Laye et Marly-le-Roi, pour sa famille et ses amis. Il fait des allers et retours fréquents depuis la Place royale.

[3Elle remplace irrévérencieusement un orgue d’église par un orgue de Barbarie, dont il faut tourner la manivelle.

[4Juliette, dont la plume est ici particulièrement énergique et rapide, télescope curieusement « tant » et « temps ».

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