21 octobre [1837], samedi après-midi, 1 h. ½
Vous savez bien que je vous aime, mon cher petit homme. Je pourrais me dispenser de vous l’écrire si ce n’était pas un bonheur pour moi de la répéter dans tout et à propos de tout, cette chère petite phrase : mon Toto je t’aime. Tu ne m’as pas dit en me quittant si tu souperais ce soir à la maison, mais comme j’espère te voir tout à l’heure je te le demanderai et même je t’en prierai car c’est si gentil et si doux que je voudrais que cela durât toute la vie.
J’ai un mal de tête excessif. Cependant vous m’avez appliqué le GRAND REMÈDE. Je ne comprends pas son opiniâtreté. C’est un mal de tête bas-breton.
Vous dites que vous lisez mes lettres et pourtant jamais vous ne répondez aux nombreuses questions que je vous adresse dedans. Par exemple quand irons-nous aux Metz, dans le Val-du-Diable et sur les montagnes aux ocres déchirés par les pluies [1]. Vous gardez le plus profond silence sur cette question et sur bien d’autres aussi intéressantes. Si vous étiez un Toto bien éduqué, vous me répondriez chaque fois que je vous interroge et toujours d’une manière satisfaisante. Je vous aime mon petit homme adoré. Je t’aime mon cher amour. Jour on jour mon MAGISTRAT [2]. À bientôt n’est-ce pas ? Je baise vos petites mains.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 295-296
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
21 octobre [1837], samedi soir, 6 h. ½
J’ai encore présente ta petite mine triste et fatiguée que tu avais tantôt quand tu es venu me voir, mon cher adoré. Je ne m’explique que trop bien cet air-là, mon pauvre courageux et dévoué petit homme. Tu as beau faire le vaillant, tes fatigues te trahissent et je crains plus que jamais que tu ne sois à la veille d’être malade par trop de travail et c’est à mon tour d’être triste et tourmentée, car je ne vois riena à faire pour t’empêcher de te tuer comme tu le fais toutes les nuits [3]. Si nous pouvions vendre quelque chose, cela vaudrait cent millions de fois mieux que d’exposer ta chère santé qui est mon seul vrai bien et sans laquelle je ne pourrais pas vivre. Mais tu as là-dessus des scrupules si enracinés que c’est le diable pour te faire entendre raison. Je me risquerai cependant à t’en parler ce soir car enfin il vaut mieux s’aider des ressources qu’on a à sa disposition dans les moments difficiles que de tout compromettre en tombant malade.
Depuis que tu es parti j’ai le cœur rempli d’inquiétude. Je m’en veux de ne t’avoir pas pressé plus que je ne l’ai fait pour savoir si tu souffrais et où tu souffrais. Tu es si généreux, toi, que c’est avec une fanfaronnade sans exemple que tu nies la fatigue et l’abattement de sorte que tantôt je craignais de me tromper en prenant ta préoccupation pour un symptôme alarmant. Oh mais si tu reviens je ne serai pas si délicate et je ferai une enquête minutieuse de toute ta chère et adorée petite personne.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 297-298
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Souchon]
a) Après ce mot, Souchon a par erreur inséré une partie de la lettre du lendemain (à partir de la moitié du 3e folio), omettant ainsi de transcrire toute la suite de la lettre actuelle. On la trouve en revanche erronément insérée dans la lettre du lendemain éditée par Souchon.