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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 janvier [1840], mercredi soir, 5 h. ½

J’ai attendu jusqu’à présent, mon adoré, pour t’écrire tout d’une haleine combien je t’aime, comment je t’aime et combien tu es la vie de ma vie et l’âme de mon âme. Je te remercie à genoux, mon Toto, de la preuve de confiance que tu m’as donnéea, je n’en suis pas indigne vab, et tu sais que depuis sept ans j’avais accepté le secret et la parole donnée ? Mais après cette nouvelle démarche [1] je ne pouvais plus le supporter et tu ne devais plus me rien lâcher. Tu l’as bien compris, mon généreux Toto, et je t’en remercie du fond de l’âme. Ta confidence m’engage plus que le secret et je te promets de ne jamais en abuser. Aime-moi mon bien-aimé car je t’aime bien plus que tout ce que tu peux imaginer et souhaiter. Je baise tes chers petits pieds. Si je ne craignais pas de faire un jeu de mots ridicule je te dirai que j’ai payé le bottier tantôt : c’était bien ce que nous avions compté : 86 F., j’en ai le reçu dans mon tiroir. Je vais écrire tout à l’heure à Mme Lanvin pour l’avertir que je l’attends sans faute samedi dans la matinée. J’écrirai aussi à Mlle Hureau et à ma fille, ces deux dernières lettres me pèsent sur la conscience et m’ennuient plus que je ne puis dire, c’est beaucoup. Après dîner, je copierai tes adorables petits gribouillis, je commence déjà à tirer la langue car il me semble que je touche bientôt à la fin de mon petit album. Je ne vois rien venir pour le remplacer, je voudrais avoir un grenier d’abondance de toutes tes admirables poésies ; et dans tes poésies, je comprends tout : vers et prose, tout depuis le pâté jusqu’à la barre, depuis pater jusqu’à amen. Tout est de la poésie depuis tes chers petits pieds jusqu’à tes beaux cheveux, tout est poésie. Mon Dieu que je voudrais savoir écrire et que je comprends bien le désespoir de RICHI quand je sens le besoin de traduire par des mots les admirations passionnées qui m’emplissent le cœur. Je donnerais jusqu’à la dernière gouttec de mon sang pour un peu d’esprit. En attendant je te donne tout mon moi en bloc, corps et âme. Fais-en ce que tu voudras, je ne me réserve rien que le droit de t’adorer.
Tu sais, mon cher petit homme, que voici deux déjeuners auxquels je n’ai pas pris part ? Je te prie donc de les considérer comme non avenus et de me les rendre dans le plus bref délai car j’ai un furieux appétit mélangé d’une soif ardente que vous seul pouvez étancher. Venez donc très tôt et taillez au plus vite nos culottes. J’en suis très pressée. Baise-moi, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 82-83
Transcription de Chantal Brière

a) « donné ».
b) « vas ».
c) « goute ».

Notes

[1Victor Hugo a souscrit une police d’assurance sur la vie.

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