10 janvier [1840], vendredi soir, 5 h.
Je t’écris au jour, mon adoré, pour ne pas être en reste avec mon amour dans le cas où tu aurais la bien bonne invention de nous CULOTTER ce soir depuis les pieds jusqu’à la tête. Cependant je me permets de n’y pas compter parce que j’aime mieux être surprise agréablement que d’être désappointée péniblement. Je disais tout à l’heure à Mme Pierceau que je n’avais jamais été plus heureuse qu’à présent. J’accompagnais cette confidence de réserve pour l’avenir car en général quand on se vante de son bonheur c’est une raison pour qu’il lui arrive malheur. Toujours est-il que depuis que nous sommes dans cette bonne petite maison de la rue Saint-Anastase [1] nous sommes heureux comme des rois et moi beaucoup de millions de fois plus qu’une REINE. Aussi j’aurais grand regret à la quitter et c’est pour cela que je voudrais qu’on nous demandât le fameux bail convenu. J’en ai bien voulu à ce hideux Taylor de s’être trouvé dans notre omnibus. Je suis avare des minutes que nous passons ensemble et je ne pardonne à personne de m’en prendre une seule. Il paraît que l’affaire de M. Démousseau est tout à fait défaite, ce qui attriste Mme Pierceau. Pauvre femme, je comprends bien ça. Aimons-nous mon Toto, aimons-nous ou plutôt aime-moi car moi je n’ai rien à faire de plus que ce que je fais : t’admirer, t’aimer, t’adorer et recommencer toujours. Quel bonheur si tu venais me chercher ; malheureusement je ne le crois pas. Je garde mon mantelet un peu dans l’espoir que tu viendras et beaucoup parce qu’il fait très froid ici. Je baise ta belle bouche adorée.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16341, f. 38-39
Transcription de Chantal Brière
10 janvier [1840], vendredi midi ¾
Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon Toto. Vous n’êtes pas venu mon cher petit homme malgré vos terribles serments ? Je m’y attendais ; et, à vous dire le vrai, je ne suis pas aussi furieuse contre vous que vous le méritez car j’ai été si malade de toute la nuit, et si dégoûtante que je ne suis pas fâchée que vous ne soyez pas venu. Par exemple il y a eu quelqu’un de plus exact que vous, c’est l’ouvrière de Chappelle que j’ai trouvéea en me levant ; force m’a été de lui donner vingt francs à compter sur 269 F. restantsb (sauf vérification). Elle a un peu rechigné mais j’ai tenu bon. Ceci fait déjà une brèche sur les 60 F. mais d’ici au terme je crains bien qu’il n’y en aitc d’autres et bien d’autres. Enfin, mon bon ange, tout ce que je pourrai économiser je le ferai, mon Toto, par conscience et surtout par amour.
J’ai été bien malade toute a nuit, mon adoré, j’ai vomi jusqu’au sang. Je croyais que je ne pourrais pas me lever, mais cependant me voilà et par trop malingre. Le débarbouillage m’a remise. C’est aujourd’hui que tu dois m’apporter de la copie mais je n’ose pas trop m’y fier car je sais combien tu as peu de mémoire. C’est tout au plus si vous pensez à moi, vieux vilain, quand vous ne me voyez plus. Baisez-moi, mon Toto, et si vous avez du cœur venez tout de suite m’apporter votre bec et votre manuscrit [2]. Prenez garde au pavé qui doit être fort mauvais et fort glissant. Il doit être désagréable même à un auteur de tomber de sa HAUTEUR. Pouah ! que c’est bête. Mais je vous aime de tout mon cœur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16341, f. 40-41
Transcription de Chantal Brière
a) « trouvé ».
b) « restant ».
c) « est ».