18 février [1836], jeudi matin, 10 h. ½
Bonjour ma pauvre âme, je t’aime, j’ai beaucoup souffert cette nuit et je souffre encore beaucoup mais je pense que le repos et la chaleur feront disparaître cette indisposition, plus tenace cette fois-ci que les autres. J’ai eu tant de fièvre cette nuit et je suis tellement abattue ce matin, que je ne sais plus que vaguement ce que tu m’as dit ; il me semble cependant me rappeler que tu devais aller voir cette horrible exécution avec M. Boulanger [1]. J’espère que tu en auras été empêché par quelque circonstance, ou par ta propre volonté. C’est une chose trop triste et trop affreuse à voir pour que je n’en redoute pas l’effet sur ton esprit si généreux et sur ta chère petite personne adoréea, car c’est un spectacle à vous ébranler le système nerveux pour toute la vie.
Je voudrais te voir, je suis tourmentée par la pensée que tu es allé à cet affreux endroit. Et puis j’ai tant souffert et je souffre tant que je me sens le besoin de prendre des forces et de la patience dans tes beaux yeux adorés ; tâche de venir, tu feras une bonne action. Je t’aime, mon Victor bien aimé ; à travers les cris de douleur que m’arrache mon mal, je t’appelle des noms les plus doux et les plus charmants.
Viens mon Toto, viens ma joie, viens mon amour, viens mon grand Victor.
J.
BnF, Mss, NAF 16326, f. 115-116
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
a) « adoré ».
18 février [1836], jeudi soir, 9 h.
Vous voici mon gros Jean comme devant. Ça vous apprendra à vous mettre sur les rangs [d’endives [2] ?] [illis.] capitaine de la garde nationale.
Vous êtes plus que jamais mon cher petit amant bien aimé. Ça ne donne pas de droits politiques mais cela donne du bonheur, ce qui vaut autant. Je fais de très grands efforts pour t’écrire parce que j’ai toujours mon point de côté quoique j’aie essayé du fameux remède. Cependant, je ne pense pas que ma douzaine d’huîtres me conduise au tombeau. Ce serait par trop ACADÉMIQUE.
Vous étiez très gentil tantôt quoique vous n’ayez pas voulu parler de la soirée, ni même me regarder. Je fais des vœux pour que vous reveniez très tôt, dussiez-vous être cent fois plus muet et encore plus loin de mon lit. C’est que je vous aime, moi, c’est que l’air que vous respirez me fait vivre, c’est que je suis joyeuse d’apercevoir votre ombre se projeter sur la page que vous lisez. C’est que je suis folle amoureuse de vous.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16326, f. 117-118
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa