Jersey, 10 mai 1855, jeudi après-midi, 3 h. ½
Je viens de faire une chose tellement monstrueuse et tellement contre nature, qu’il est impossible que je ne sois pas dangereusement malade et à la veille de crever, ce qui ce serait pas dommage car je ne regretterais pas après l’affreuse lâcheté que je viens de commettre envers moi-même. Je viens de donner… Non, ce n’est pas vrai, si, c’est moi qu’est une menteuse. Je viens de me voler un de tes dessins. Je ne sais qui me retiens de me conduire moi-même et sans assistance d’aucun centenier à l’hôpital comme une voleresse [1] et une pas grand chose que je suis. Mais conçoita-on cela ? Bien sûrbje n’étais pas moi et quelque hideuse filoute s’était glissée dans ma peau pendant que je courrais la prétentaine après votre cœur. Je n’en porte pas moins la peine peu s’en faille que je ne me CALCAFTRISE moi-même pour l’exemple aux Juju présentes et à venir. Certes on enc a pendud qui le désirait moins que moi. Mais c’est affreux ! Mais c’est horrible ! Mais c’est immonde ! Mais je ne me le pardonnerai jamais ! vengeance ! vengeance ! vengeance et la mort ! Il est probable que l’ours Charrassin avait avalé quelque infusion de crapaud séché et que le CHARME a opéré sur moi par réfraction et voilà comment je me suis trouvée poussée malgré moi à lui donner... hélas ! à lui donner, oh ! là ! là ! à lui donner… Ah ! mon dieu !… à lui donner…. Ouf, j’étrangle de rage, à lui donner un de vos dessins !!!!!!e
BnF, Mss, NAF 16376, f. 193-194
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
[Massin, Blewer]
a) « concois-t-on ».
b) « bien sûre ».
c) « on on ».
d) « pendue ».
e) Les cinq points d’exclamations courent jusqu’à la fin de la ligne.