Jersey, 7 février 1855, mercredi après-midi, 3 h.
Enfin ! ça n’est pas malheureux ! Voici que je peux donc mettre la main à la plume et mon cœur au bout pour combler tant bien que mal la lacune énorme pour mon bonheur de trois jours de non restitus. Du reste, je ne sais pas comment cela se fait mais je ne trouve pas moyen de me dépêtrer de MON MÉNAGE avant cette heure-ci, quelque soit mon épêchement. Il faudra pourtant que je tâche d’être libre plus tôt, d’abord pour ne plus manquer mes chères petites restitus et pour que tu n’attendes pas après mes COPIRES que je tiens à finir à moi toute seule [1]. Je commence maintenant à croire que votre voyage à Londres [2] est tombé dans l’eau, ce dont je suis enchantée pour toi et pour moi, malgré l’occasion mirobolante de CHANGER MES COUVERTS. Il est vrai que, même à distance, je peux avoir cette occasion quand je voudrai. Il SUFFIT DE LE VOULOIR et tu es trop bon démagogue pour t’opposer à cette mesure légitime autant qu’économique. Juste Dieu !!!!!!!a je t’aperçois là-bas à la pointe de la mère Land. C’est l’instant de me cacher, montrons-nous. AUDACES FORTUNA JUVAT [3]. Vive LES COUVERTS et son auguste famille ! Vous n’en serez pas quitte à si bon marché, mon Toto, puisque vous avez l’imprudence de me laisser le temps de finir cette restitus, PER FAS ET PER NEFAS [4], en vous en allant sur la montagne comme un autre Moïse. J’entends et je prétends, ne pas vous faire grâce du plus petit baiser, quand je devrais les empiler les uns sur les autres et jusqu’au-delà de mon trop court papier.
Juliette
BNF, Mss, NAF 16376, f. 60-61
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) Les sept points d’exclamation courent jusqu’à la fin de la ligne.